6 anomalies dans la procédure Tapie
C’était vendredi matin. 7, rue de Jouy dans le Marais à Paris. Dans cet hôtel particulier qui abrite la justice administrative se tenait une audience particulière. Le tribunal examinait trois recours en excès de pouvoir contre les décisions de recourir à l’arbitrage dans le litige opposant Bernard tapie au Crédit Lyonnais et à la décision prise par le gouvernement de ne pas contester la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2007.
Les recours déposés sont ceux d’une part de Jean-Marc Ayrault et du groupe socialiste, François Bayrou et Charles de Courson d’autre part, et enfin de deux contribuables. L’écume médiatique est retombée et il n’y avait plus que Laurent mauduit de Mediapart (en photo pendant qu’il interviewe F. Bayrou à la sortie) pour suivre la procédure engagée.
Ce silence est d’autant plus incompréhensible que les mystères qui entourent la décision du gouvernement dans cette affaire sont toujours aussi nombreux.
De quoi s’agit-il? Chacun conserve en mémoire l’affaire Adidas. Elle a donné lieu à une procédure judiciaire classique . Cette dernière a été interrompue par la décision du gouvernement de recourir à une procédure d’arbitrage qui s’y substitue. Trois personnalités ont été choisies et rémunérées par les parties (100 000€) pour chercher une issue au contentieux. Le recours à cette justice dérogatoire est fréquent dans le monde des affaires internationales, aucun contractant ne prévoyant de se soumettre au droit national de l’autre. En l’espèce, rien de tel.
Sans entrer dans les détails, il est également permis de se demander si l’Etat à travers le CDR (structure ad hoc de défaisance chargée de gérer le passif duCrédit Lyonnais après la quasi-faillite de la banque en 1993.) pouvait se soumettre à une telle procédure, les collectivités publiques ne pouvant pas « compromettre ». Le CDR étant placé sous la tutelle de l’EPFR, établissement public administratif national lui même placé sous la conduite de la ministre de l’Economie, il est plus que permis d’en douter.
L’arbitrage est une procédure confidentielle et c’est là le troisième élément d’interrogation. Quand l’argent public est engagé, il n’est pas opportun de choisir la voie la plus opaque pour le réglement du litige.
Le quatrième élément de « curiosité » est lié à la décision prise par les arbitres. Alors que la cour d’appel avait évalué le préjudice des époux Tapie à 135 millions d’euros, les arbitres ont doublé la mise (1) ! dont 45 millions d’euros de préjudice moral (2) alors que la cour d’appel l’avait placé à 1 Franc !
La décision d’arbitrage connue, c’est la cinquième anomalie, le gouvernement aurait pu exercer un recours contre la décision prise. Il ne l’a pas fait alors que deux juristes sur les quatre consultés par le cabinet de Christine Lagarde l’estimaient fondé en droit.
Pire, c’est la sixième extravagance, le gouvernement a profité de la torpeur de l’été 2007 pour rendre ce recours impossible. Alors que le CDR (qui prend ses ordres à Bercy) avait jusqu’au 15 août pour former un recours en annulation, la décision d’y renoncer a été prise le 28 juillet. La sentence arbitrale du 7 juillet 2007 a par ailleurs reçu l’exequatur le 12 (un samedi, en plein WE du 14 juillet !)
Le dernier recours est maintenant celui que nous avons formé devant le tribunal administratif. Délibéré le 9 octobre prochain.
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(1) 300 millions c’est par exemple l’équivalent de deux ans de taxe Copé sur les accidentés du travail…
(2) A rapprocher des 30 000€ que la justice accorde au mieux pour la mort d’un enfant. Le préjudice moral des époux Tapie était-il vraiment 1500 fois supérieur à celui que connaissent les parents d’un enfant mort?