Pour Wali, pour ceux qui attendent leur vol pour Kaboul
Il est assis au banc du gouvernement tandis que Jean-Pierre Kucheida, député de Liévin lui pose sa question d’actualité. Il a ce regard qu’il rêverait impérial, mais qui est juste froid, glacé, presque vide. Il mime l’assurance des vieilles troupes, mais pour qui le connaît, il fulmine et tempête intérieurement. Tout en lui bout. Il va bientôt se lever, attraper le micro et faire face aux parlementaires de gauche. Il va parler toute honte bue. Il a brûlé tous ses vaisseaux. Il a entamé une longue dérive personnelle. Il ne craint plus les flèches. Il est debout, mais tout en lui est déjà mort. Lui l’orgueilleux, le susceptible a déjà perdu tout honneur. Ne lui reste que la jouissance perverse de la transgression. Depuis la présidentielle, il incarne l’image du traître à ses amis. Il peut maintenant assumer de trahir ses idées.
C’est lui qui organise désormais les charters de la honte qui raccompagnent les jeunes clandestins afghans vers Kaboul. Il parle sans émotion. Lui c’est Eric Besson.
Dans le TGV qui relie Paris à Lille, il y a un jeune boulanger-patissier qui aurait voulu entendre l’échange dans cet hémicycle soudain électrisé. Son patron ne l’y a pas autorisé. Ce jeune artisan s’appelle Wali Mohammadi. Wali est un jeune réfugié afghan de 22 ans. Il était ce matin accueilli par le groupe socialiste.
Wali s’exprime avec un drôle d’accent chti, l’accent de sa terre d’adoption. Dans la salle du deuxième sous-sol, il parle sous un tableau représentant Jaurès harranguant les députés. Wali a le regard franc. Il a quelque chose de joyeux dans le sourire, dans la voix, mais une joie retenue. Il ne dit pratiquement rien de son miraculeux périple lorsqu’il a dû traverser le Pakistan, l’Iran, l’Arménie, la Turquie, la Grèce, l’Italie pour enfin rejoindre la France. Il ne cherche pas à émouvoir sur son sort. Il retient son souffle pour évoquer d’une phrase la mort de son père sous la torture, celle de sa mère sous les éclats d’une bombe.
Il a préparé son discours hier soir à l’hôtel. Il est fier d’être ce matin devant l’ensemble des députés socialistes. Il réalise que le fils du tailleur Mohamed Ali, l’enfant qui vivait dans une maison de terre, l’adolescent en fuite qui a dû baisser si souvent les yeux, le clandestin qui passait de cache en cache, est aujourd’hui un homme debout. Un homme qui parle devant des députés de la République Française.
Il a préparé son discours pour ne pas avoir à trébucher sur les mots. Pour ne pas se laisser impressionner. Pour énoncer avec clarté le message qu’il veut délivrer. Il ne parle pas de sa douleur passée. Il parle de sa fierté d’être devenu Français. Il parle de l’identité de la France. Il dit qu’elle ne se résume pas à un chant et un drapeau. Il rassure les Français qui ont peur des hordes de clandestins, non tous les Afghans ne rèvent pas de Paris ou Calais. Il remercie une France généreuse, celle de sa famille d’accueil, cette famille qui l’a aidé à naître une seconde fois.
Cette nuit il prépare sans doute ce qu’il dira demain matin sur RTL et BFM qui ont prévu de l’interroger. Surtout ses pensées doivent se diriger vers ces sans papiers qui attendent leur départ, qui survolent peut-être déjà l’Europe, qui serrent les poings, rivés à leurs fauteuils, redoutant ce moment où apparaitront dans le hublot les montagnes afghanes.
Demain après-midi, le Premier Ministre prononcera justement un discours à l’Assemblée sur la situation afghane. Il reconnaitra que la paix n’est assurée nulle part, pas même à Kaboul, pas même dans le palais présidentiel. Il dira que la France est solidaire du peuple afghan qui refuse les chaînes que s’apprêtent à lui passer les talibans. Sa compassion sera très grande, mais c’est Besson qui restera son ministre.