Copé refuse une loi sur le conflit d’intérêt
Le calendrier parlementaire ne coïncide pas toujours avec l’actualité sociale. Mardi 19, les millions de Français qui défilaient pour la sixième fois dans les rues, ont couvert par leurs slogans – ne nous en plaignons pas – les travaux dans l’hémicycle.
L’Assemblée avait à se prononcer sur trois propositions de lois socialistes. Toutes les trois visaient à rénover la vie politique. Il s’agissait de corriger les contournements de la loi sur le financement des formations politiques (multiplication des micro-partis), de limiter le cumul des mandats (un parlementaire ne pourrait plus diriger un exécutif local), et enfin de prévenir les conflits d’intérêt.
Sur le cumul des mandats, admettons que le sujet puisse ne pas être partagé et clive la gauche avec la droite. Sur les deux autres textes, le groupe socialiste s’attendait à un travail sérieux et espérait que la loi puisse venir combler les vides juridiques. C’était sans doute trop attendre.
Le plus cocasse dans cette histoire, c’est que les députés UMP viennent de voter –sans le savoir – contre une proposition d’un ancien membre de leur gouvernement. En effet sur le conflit d’intérêt, la proposition socialiste était une reprise in extenso de la 1ère recommandation de Martin Hirsch publiée dans son dernier ouvrage « Pour en finir avec les conflits d’intérêts ». Pour ne pas provoquer l’urticaire du président du groupe UMP – qui avait convoqué les sombres heures de notre histoire pour mieux disqualifier les écrits de l’ancien haut commissaire – nous ne l’avions pas précisé.
En quelque sorte, Jean-François Copé vient de réussir un « blind test » : en effet sa constance dans le rejet de toute disposition sur le conflit d’intérêt est totale, quel qu’en soit l’auteur. Pour mieux comprendre cette aversion, il faut sans doute rechercher dans un autre livre écrit l’an dernier par Frédéric Dumoulin et Solenn de Royer « Copé l’homme pressé » (p. 2719 et suivantes). Les journalistes avaient révélé l’affaire du projet de fusion entre les conseils en propriété intellectuelle et les avocats dans laquelle JF. Copé s’est placé dans une situation de conflit d’intérêt manifeste.
Pendant le débat, les quelques députés UMP de permanence (et en l’absence de Jean-François Copé soulignée par Jean-Marc Ayrault ) ont fustigé le populisme de ces propositions. Parfois on se pince. Comme si ce n’étaient pas les dérives qui fournissaient leurs meilleurs arguments aux populistes de tous poils !
Le livre de Frédéric Dumoulin rapporte qu’en 1993, Michel Sapin, ancien ministre des Finances (PS), battu aux législatives rencontre deux cabinets d’avocats pour tenter une reconversion. Il leur explique qu’il ne pourra pas les aider à contourner sa propre loi (sur la lutte anti corruption), il se voit alors répondre : « mais alors, à quoi pouvez-vous donc nous servir » ? Michel Sapin a renoncé.
Il ne s’agit pas de dire que tous les avocats sont des lobbyistes. Il ne s’agit même pas de condamner le lobbying. A travers cette proposition de loi, il s’agit juste de rendre impossible les situations de conflits d’intérêt, car oui, la fonction de législateur suppose une absolue exemplarité. Les socialistes proposaient simplement que la transparence soit totale de la part du député et de la part de l’employeur qui le paie. Parce que la « publicité permet le contrôle » dixit M. Hirsch.
C’était encore trop pour Jean-François Copé qui a toujours refusé de donner le montant exact de ses émoluments (mais n’a pas contesté l’évaluation de 200 000 euros minimum par an pour quelques demi-journées de travail par mois) ainsi que le nom de ses clients. La transparence a ses limites et c’est derrière ces limites que prospère le soupçon. Tant pis pour la démocratie et tant pis pour les autres parlementaires qui seront eux aussi suspectés.
Tout cela ne compte pas pour le député de Meaux, et il doit même trouver que l’opposition en fait un peu trop. Dans son style inimitable (genre « demain j’arrête la langue de bois et je me mets direct au plomb« ) Jean-François Copé a osé dire que 30 000 euros mensuels cela correspond modestement « à un salaire de cadre sup » (réponse au journal Marianne le 16 avril 2009)… Et puis ce boulot, c’est « pour rester en prise avec la réalité »…