Le Monde – L’Assemblée veut expérimenter l’amendement citoyen
Toujours cette question qui n’en finit pas de tarauder les politiques : comment réconcilier les citoyens avec leurs élus ? Dans les sphères socialistes, une nouvelle solution gravite depuis quelques mois et pourrait devenir réalité dès la rentrée ; la possibilité d’ouvrir à tous le droit d’amender les textes législatifs, à travers le principe de l’« amendement citoyen ». Séduisante sur le papier, cette solution pourrait n’être qu’une esquive pour éviter de refonder réellement un système essoufflé ou d’en passer par l’instauration de la proportionnelle pour l’élection des députés.
Au PS, le député de Seine-et-Marne, Olivier Faure, est l’un de ceux qui défendent cette idée et, à son initiative, le parti l’a inscrit dans le texte de la motion majoritaire, adoptée par les militants le 22 mai. Le principe d’impliquer davantage le public pour régénérer notre démocratie séduit aussi le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui, fin janvier, avait mis en place une « consultation citoyenne » sur Internet autour du texte sur la fin de vie. Parmi d’autres, l’ancienne ministre Delphine Batho plaide elle aussi pour « l’émergence d’une démocratie collaborative » et, à l’Assemblée, le vice-président de la commission des lois, Dominique Raimbourg (PS), vient à son tour de prendre le dossier en main pour mener une première expérimentation à la rentrée.
Sensibilisé à la question lorsqu’il était rapporteur du projet de loi sur la réforme pénale en 2014, le député de Loire-Atlantique vient de rédiger une longue note au président de l’Assemblée et a obtenu du président du groupe, Bruno Le Roux, la mise en place d’un groupe de travail sur le sujet. Restera ensuite à mobiliser ses collègues et à trouver un véhicule législatif sur lequel tester la mesure – plutôt une proposition qu’un projet de loi. Une des pistes évoquées serait alors de mettre en place lors des débats un rapporteur « à la contribution citoyenne », en plus du rapporteur classique saisi sur le fond et, éventuellement, du rapporteur pour avis.
« Parlement et citoyens »
Ce nouveau personnage du théâtre parlementaire aurait les mêmes pouvoirs que n’importe quel rapporteur ; celui de défendre des amendements issus d’une consultation citoyenne, mais aussi de disposer d’un temps de parole supérieur aux autres députés ou encore de bénéficier d’un lien privilégié avec le gouvernement. Dans un premier temps, la consultation populaire serait externalisée et la gestion des requêtes confiée à une association en pointe sur le sujet, comme « Parlement et citoyens », qui œuvre pour une plus grande collaboration des citoyens à la fabrique de la loi.
En somme, il s’agirait, pour les défenseurs de cette mesure, de mettre à niveau tous les citoyens, qui aujourd’hui sont loin de jouir du même accès à la décision publique, selon qu’ils sont déjà organisés en groupe d’intérêts (« lobbies »), ou non. « Ce serait un premier pas important », salue Olivier Faure, qui aurait toutefois aimé une application plus ambitieuse pour produire un « effet-choc ». « Si ça marche bien, cela révolutionnera le travail parlementaire : cela changera la façon d’être de la majorité, comme de l’opposition, et forcera les partis politiques à prendre position sur les questions soulevées », avance le député.
Pour lui, cela signera la fin des « fantasmes » selon lesquels certains sujets seraient totalement occultés du débat public et permettrait de « purger les débats qui naissent dans la société ». Surtout, ce farouche opposant au scrutin proportionnel pour l’élection des députés voit en l’amendement citoyen une solution au manque de représentativité des élus : si les idées du Front national concernent réellement plus de monde que les trois députés d’extrême droite, alors elles s’exprimeront par cette voie, veut-il croire.
Outre les questions logistiques à régler avant une mise en œuvre pérenne de ces amendements citoyens, le risque est grand de créer une désillusion et donc un désamour encore plus grand du peuple envers ses représentants. Chercheur en anthropologie politique spécialisé sur le Parlement, Jonathan Chibois y voit la promesse d’une collaboration « trompeuse », dans la mesure où, sans l’accord du gouvernement, « personne n’est dupe sur le fait que l’amendement ne passera pas ». Certes, « la voix de la contradiction se sera élevée », admet-il, mais à un moment du débat où tout est déjà « verrouillé ». Dominique Raimbourg reconnaît lui aussi un risque de se « heurter à une illusion » du peuple, notamment celle de croire que faire la loi ou, du moins participer à sa fabrication, c’est faire de la politique.
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