Les Echos – Loi travail
INTERVIEW – Le vice-président du groupe socialiste à l’Assemblée, qui est aussi porte-parole du PS, plaide pour deux évolutions du projet de loi travail : la suppression du référendum en entreprise et le retour à un périmètre mondial pour les licenciements économiques.
Le 49-3 est-il inéluctable ?
Je ne l’espère pas. Si le gouvernement en venait à utiliser cette « arme », ce serait la conséquence d’une convergence des contraires, d’une coalition qui irait du Parti communiste à la droite et à l’extrême droite. Bloquer au nom de raisons totalement antagonistes, cela ne fait pas une politique. Quand on a face à soi un gouvernement disposé à négocier, quand il est possible de donner un débouché au mouvement social, la rupture est une faute. Le texte initial adaptait le marché du travail en détruisant certains droits. Dans la version issue des travaux du Parlement, qui doit beaucoup au travail de conciliation du rapporteur Christophe Sirugue, le projet de loi modernise le Code tout en protégeant les salariés. Il demeure quelques évolutions souhaitables, mais nous ne sommes plus très loin.
Quels aménagements préconisez-vous ?
Les libéraux justifient toutes les régressions par la mondialisation qui impose ses règles. Dans le même temps, les grands groupes demandent que, pour les licenciements économiques, le périmètre d’appréciation des résultats se limite au niveau des filiales françaises. La mondialisation n’existerait donc que pour justifier l’adaptation des salariés, mais pas pour évaluer la santé des multinationales ? Sans compter les possibles « arrangements » comptables qui peuvent artificialiser les pertes d’une filiale… La bonne évolution serait de revenir au droit actuel, c’est-à-dire une appréciation du juge au niveau du groupe. Ensuite, l’idée d’utiliser la voie référendaire en entreprise en l’absence d’accord majoritaire est contradictoire avec la volonté de renforcer le dialogue social. Donner le sentiment qu’il y a deux légitimités qui s’opposent ouvrirait une voie que la droite entend élargir pour contourner et affaiblir les partenaires sociaux en offrant cette consultation à la décision du seul chef d’entreprise. Restons-en au principe « pas de majorité, pas d’accord ». Si les salariés jugent que leurs représentants ne sont pas capables de nouer des accords dans leur intérêt, qu’ils les changent.
Quid de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche ?
La question de la hiérarchie des normes est un point important. La décentralisation de la négociation au niveau de l’entreprise fait craindre une forme de « domino social » : une première entreprise qui obtient un accord de « moins-disant salarial » conduit ses concurrentes à s’aligner pour éviter de perdre des parts de marché. Après le séminaire avec le groupe socialiste, le gouvernement a fait un premier pas en réduisant le périmètre de négociation à la seule question de l’organisation du temps de travail. Le salaire mensuel est sanctuarisé. Désormais, la solution pour éviter toute ambiguïté serait de sortir la modulation des heures supplémentaires. Le risque de dumping serait évité et la souplesse organisationnelle maintenue pour négocier en entreprise.
Comprenez-vous la colère du patronat, qui fustige la réécriture du texte, et celle des manifestants, qui veulent son retrait ?
« Monsieur Pin’s » [Pierre Gattaz a arboré un pin’s promettant la création de 1 million d’emplois, NDLR] a la colère sélective. Quand le patronat tiendra ses engagements, il sera fondé à lancer des ultimatums et à faire la leçon au Parlement. Au-delà, il y a quelque chose de paradoxal à ce que, simultanément, le Medef et les manifestants voient dans ce texte la main du diable. Pour les uns, le diable est rouge, parce qu’ils ne le trouvent pas assez libéral ; pour les autres, le diable est bleu, parce qu’ils le jugent trop libéral. Il nous reste à convaincre les Français que ce paradoxe démontre que nous sommes parvenus à un équilibre.
Les trois quarts d’entre eux se disent opposés au texte. L’exécutif a-t-il déjà perdu la bataille de la communication ?
La bataille de la communication a été perdue très tôt, mais est-ce la bonne question ? Peut-on considérer que le statu quo est la solution à tous nos problèmes ? Ce texte, en rattachant par exemple les droits à la formation au salarié et non plus à l’entreprise, tient compte de l’évolution du monde du travail. Il permet, par le biais d’un « compte personnel d’activité », de maintenir « l’employabilité du salarié » chère aux chefs d’entreprise, tout en donnant chair à une « sécurité sociale professionnelle » revendiquée depuis plusieurs décennies par le monde syndical. Il faut avancer.
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