Réaction au plan de déconfinement
Monsieur le président, mes chers collègues,
Monsieur le Premier ministre,
Nous vous avons écouté attentivement.
Vous avez en charge l’essentiel. Les vies de milliers de femmes et d’hommes qui ne résisteraient pas à l’infection du virus. En quelques mois ce virus a miné nos quotidiens. Confiné nos existences. Bouleversé nos modes de vies. Transformé notre rapport aux autres.
Le confinement a permis d’enrayer la progression du Covid-19, mais pas de le faire disparaître. Si c’est une « guerre », c’est une guerre de position. Une guerre de tranchées. Et chaque jour le front s’élargit à de nouveaux pays.
Sans vaccin, sans traitement fiable, sans immunisation assurée, nous allons devoir vivre avec le virus et surtout la menace d’une reprise épidémique alors même que nos soignants sont épuisés et nous implorent de leur accorder du répit.
Nous partageons avec vous l’objectif du déconfinement. La vie doit reprendre. Le travail doit reprendre pour que le cortège des faillites n’emporte pas les nombreuses familles déjà fragilisées par deux mois d’inactivité.
La question n’est donc pas celle de l’objectif, mais celle des moyens que l’on y met.
Face à une catastrophe sanitaire, notre devoir est de rechercher ensemble les moyens de nous en sortir le mieux possible et le plus vite possible.
Depuis le premier jour, nous vous avons dit notre disponibilité pour construire une réponse partagée. Mais nous n’avons obtenu en retour que mises en scène de réunions, faux dialogues et vraie instrumentalisation de ces rendez-vous.
Je dois vous dire que j’ai un moment espéré que cette attitude changerait il y a quinze jours quand vous avez entamé une discussion avec l’ensemble des chefs de partis. Cet espoir a été de courte durée. Dès le lendemain, sans préparation préalable d’un plan gouvernemental, la date du 11 mai a été posée par le président seul.
A ce moment de notre vie nationale, l’improvisation est coupable. Elle crée une défiance à un moment où le pays aurait au contraire besoin de repères clairs.
Et c’est tout l’inverse qui s’est produit. En quinze jours nous avons assisté à un festival de contradictions, d’incohérences, d’approximations : sur le confinement des anciens, sur la régionalisation des mesures, sur la réouverture des écoles – vous venez vous-même de revoir toutes les annonces du ministre de l’Education.
Sur les masques, inutiles un jour, utiles le lendemain. Obligatoires, facultatifs. En papier, en tissu. Commandés pas arrivés. De retards en dénis, de dénis en mensonges, la doctrine a varié si souvent que plus personne ne vous écoute sur ce sujet.
Disons les choses simplement : personne monsieur le Premier Ministre, ne doit être tenu de gagner les paris du président de la République. J’ai cru entendre dire que vous n’étiez pas si loin de ce point de vue… Le bon moment pour déconfiner, c’est le moment où l’on est prêt ! Et l’évidence que nous rapportent les maires, les enseignants, les salariés, c’est que tout est encore loin d’être prêt !
Ce sont vos propres services qui disent qu’il n’y aura pas assez de masques pour tous les Français. Qui imagine 12 millions de voyageurs quotidiens dans le métro sans masques ? Qui imagine que le territoire se partage entre ceux qui ont reçu un masque et ceux qui n’en trouvent pas ? On parle de les vendre. Combien se limiteront alors à l’achat d’un seul qu’ils ne renouvelleront pas, faute de moyens ?
La solution vous la connaissez, des masques gratuits, des tests, du gel, des blouses, des respirateurs… Tout le reste n’est que dangereuse diversion.
Tous les pré-requis sanitaires sont connus. Votre propre comité scientifique en a détaillé les principes. Encore faudrait-il que son existence ne soit pas purement décorative…
Et lorsque ses avis ne sont pas suivis, nous aimerions comprendre ce qui motive le gouvernement. En quoi les conditions du retour à l’école seraient établies alors que les écoliers italiens ne retrouveront leurs bancs qu’en septembre, comme nos étudiants ? Pourquoi faire rentrer les plus petits quand on reste prudents pour les collégiens et les lycéens ? Si ce n’est que les uns se gardent seuls et pas les autres.
De nouvelles interrogations naissent depuis l’apparition en Grande Bretagne, en Espagne et en Italie d’un syndrome proche de la version sévère du coronavirus qui frappe les enfants et nécessite leur hospitalisation en soins intensifs. A-t-elle un lien avec la crise qui nous frappe ?
Voilà ce que les Français attendent de leurs gouvernants comme de chacun de leurs élus. Qu’ils établissent une évaluation de la situation et qu’ils s’assurent que les meilleures garanties leur soient proposées. On ne joue pas la santé des Français à pile ou face : Pile on gagne. Face l’épidémie repart.
Un déconfinement raté parce que mal préparé ruinerait les efforts consentis pendant deux mois et préparerait une seconde vague dont on peut redouter la violence.
Ce que veulent les Français ce n’est pas l’accélération à tout prix du déconfinement, pour permettre une reprise du travail sans sécurité avec des écoles transformées en garderie sans garantie. Le courage ce n’est pas la marche forcée. Le courage c’est de faire les bons choix, au bon moment!
Le déconfinement doit être un moment de résilience pour toutes et tous. Pas le retour au travail pour les uns et le cauchemar pour les autres, ceux qui se retrouvent sans rien, au chômage, sans revenus. Il faut accompagner le déconfinement d’un geste fort de solidarité. C’est ça la République !
Le président s’est engagé à ce que personne ne soit abandonné, « quoi qu’il en coûte ». Et bien l’heure est venue de tenir ce bel engagement.
Les queues s’amplifient aux portes des organisations caritatives. Nous allons faire face à une crise sociale d’une violence inouie. Le chômage croit déjà brutalement. Les situations de détresse se multiplient. Là aussi il est nécessaire d’anticiper. Demain, il sera trop tard ! Il faut empêcher les expulsions locatives dans le parc social, aider davantage les familles précarisées, les étudiants isolés, en finir avec cette fabrique industrielle à pauvreté qu’est votre réforme de l’assurance chômage. Il faut un plan d’aide alimentaire massif et une mobilisation générale sur le soutien individualisé aux jeunes décrocheurs, un aide pour trouver stages et apprentissages. On ne peut pas lâcher 20% de notre jeunesse !
Les mesures de chômage partiel, très bien ! Ce que nos voisins allemands avaient fait dès 2008, nous le faisons enfin. Mais ne nous satisfaisons pas trop vite. Ce sont des pertes de pouvoir d’achat parfois terribles quand la part variable, les primes, les heures supplémentaires ne rentrent plus. Jusqu’à 2,5 smic il serait juste de compenser les salaires à 100%.
Vous nous répondrez que c’est beaucoup d’argent. Sans doute, mais moins que celui que nous perdons à accorder des aides publiques à des entreprises qui continuent à verser des dividendes ou qui placent leur argent dans des paradis fiscaux. C’était une de vos promesses, vous ne l’avez pas tenue lors du vote de la loi de finances rectificative. Tenez là ! Arrêtez d’être fort avec les faibles et faible avec les forts ! Les amendes, ça ne peut pas être réservé à ceux qui ne respectent pas le confinement !
Il n’y a pas d’ « argent magique » mais il y a des magiciens qui savent le rendre transparent à nos regards. Si vous voulez faire du tracking, traquez l’argent sale, celui qui s’évade quand tous les français sont appelés au civisme. Si vous voulez que notre présent anticipe un « Après » différent, donc plus solidaire, rétablissez dès à présent l’ISF, abrogez la flat tax ! Suspendez tous ces cadeaux indécents aux plus riches quand vous n’accordez qu’une prime à une partie de ceux qui tiennent ce pays debout !
Prenez des engagements forts. Montrez au pays que, comme nous, vous avez appris de cette crise.
Je n’achèverai pas mon propos sans vous parler de culture, mais aussi de nos bars et de nos restaurants, de tout ce qui rend nos vies plus belles. Il faut un vrai plan de réveil de la vie sociale, culturelle sportive et associative pour que le tissu local ne s’effondre pas et que nos vies demain gardent la même richesse.
Nous ne voulons plus de principes, plus de mots, nous voulons des actes. C’est la raison pour laquelle Monsieur le Premier Ministre, vous n’aurez pas aujourd’hui notre vote. Nous ne voulons plus de généralités, mais un mode d’emploi détaillé. Nous ne voulons pas de ce vote d’un seul bloc. Nous ne voulons pas de chèque en blanc. Nous voulons une action concertée, transparente et qui offre les meilleures garanties aux Français. Les maires ne peuvent continuer à être méprisés, convoqués pour mettre en œuvre les décisions de l’État sans consignes claires, sans soutien, sans dialogue véritable. Dans cette crise le gouvernement a raté son rendez-vous avec le pays, avec ses territoires, avec ses forces sociales. Comme depuis trois ans le président fait seul. Avec cette méthode, il nous fait prendre à tous le risque d’échouer .
Nos collectivités locales comme nous-mêmes aiderons dans toute la mesure du possible à la réussite du déconfinement mais ne nous demandez pas de vous accorder une confiance que jusqu’à ce jour, vous ne méritez pas.