Libération « Si nous formons un bloc commun, il n’est plus interdit de rêver changer la vie »
Chacun son combat. Depuis son arrivée à la tête du Parti socialiste, Olivier Faure pousse des deux mains pour la (re)naissance d’une union des gauches et des écologistes. Un rêve comme un autre. Une lutte qui ne fait pas toujours rêver. Des moqueries, des doutes et des portes qui se ferment. Le député de Seine-et-Marne répète son refrain tous les matins : «La victoire est impossible sans union.» Petit à petit, «ça avance», dit-il. Quelques portes s’ouvrent lentement. D’autres à gauche se retroussent les manches afin de proposer une alternative commune à Emmanuel Macron. La crise sanitaire est un accélérateur : elle facilite le dialogue et les initiatives. Mais l’affaire reste complexe. On n’efface pas les nombreuses résistances du jour au lendemain.
Comment décrivez-vous la période actuelle ?
Incertaine. Humainement difficile pour de trop nombreux Français, tout en mettant en lumière une France généreuse et solidaire, notamment celle des premiers de tranchée. Mais ce n’est pas une simple crise. C’est une catastrophe qui agit comme un révélateur. La période éclaire ce que certains ne voulaient pas voir : il est temps d’inventer un nouveau modèle de société solidaire et durable. Le modèle actuel ne permet plus de faire face aux grands chocs climatiques, sociaux, sanitaires. Pour autant, ce serait faire preuve de beaucoup de naïveté que de croire que ces changements sont incontournables. Le débat sera brutal. Il opposera des visions du monde. Et le dessein commun de la gauche et des écologistes se heurtera à la paresse des commentateurs qui nous trouveront déraisonnables, au scepticisme de ceux qui ne croient plus en rien ni en personne et s’abandonnent à la résignation, à la résistance des lobbys qui craindront de perdre leur centralité, à la force des conservateurs et des libéraux qui saisissent cette crise comme l’opportunité de revenir sur tous les droits acquis au nom d’un effort exceptionnel à fournir dans une période d’exception, au cynisme des nationalistes qui assimilent le retour de frontières étanches à un geste barrière.
La crise remet-elle en cause certaines de vos certitudes ?
Elle permet à chacun de se réévaluer. La situation dans les hôpitaux, ça m’a remué. Ma mère était infirmière. Je sais que ces métiers du soin sont d’abord des vocations. Tous les gouvernements en ont abusé en refusant d’entendre les alertes et les souffrances exprimées. Et ce gouvernement singulièrement. Mais tirer toutes les leçons de cette crise ne peut se limiter à condamner les erreurs ou les mensonges de l’exécutif. C’est aussi accepter tous de se regarder dans un miroir. Le déni ne peut pas être une option. Le logiciel libéral est épuisé, nous l’avons trop longtemps subi, parfois accepté. Etre lucide, c’est aujourd’hui être radical dans ses approches. Si l’humain n’est pas remis au cœur de nos sociétés, elles exploseront.
Comment faire pour penser au monde d’après et répondre aux questions actuelles ?
Avant le «grand soir», il faut d’abord s’occuper de demain matin. Le jour d’après est hélas plus noir que le jour d’avant. La crise a exacerbé les inégalités. Les enfants ont traversé très différemment cette période. Les faillites et les plans sociaux vont se multiplier de manière exponentielle. Des centaines de milliers de familles peuvent basculer. Le rôle de l’Etat va être central. L’arrêt brutal du chômage partiel serait un drame. Il faut par exemple mettre en place un dispositif de réduction temporaire du temps de travail dans les entreprises en difficulté. L’intérêt pour l’entreprise, c’est de ne verser qu’une part des salaires et sans perdre ses salariés et leurs savoir-faire. L’intérêt pour les travailleurs, c’est de conserver leur emploi en conservant l’intégralité de leurs salaires versés pour l’essentiel par l’employeur et complétés par la solidarité nationale. Pour l’Etat, c’est la possibilité de verser moins que s’il avait à indemniser des chômeurs à 100 %. C’est gagnant-gagnant-gagnant. Le temps libéré doit être un temps de formation, notamment pour les entreprises de l’industrie carbonée qui doivent muter. L’enjeu, c’est de relancer l’activité économique sans relancer la machine à polluer. Le «monde d’après le Covid» naîtra des réponses que nous apporterons à l’organisation de «la vie avec le Covid-19». L’après se construit par étapes.
Quel est le rôle du premier secrétaire du PS aujourd’hui ?
Mon rôle, c’est de faire en sorte que la gauche soit à la hauteur du moment que nous traversons. De reprendre le dialogue avec celles et ceux que nous avons vocation à protéger. De défricher les idées neuves et de préparer l’alternance. De rendre possibles les convergences pour que la gauche se réinvente et de rendre une espérance à ceux qui ne croient plus au bonheur de vivre ensemble.
L’idée de participer à une union nationale autour d’Emmanuel Macron, ce n’est pas tentant ?
Sa propre majorité se délite jour après jour, c’est dire la confiance qu’il inspire. Après les gilets jaunes il devait y avoir un acte II plus social. Résultat ? Une réforme des retraites, heureusement remisée, et une autre de l’assurance chômage, qui va être un massacre en septembre si elle n’est pas abrogée. Avec Emmanuel Macron, il y a toujours un abîme entre le son et l’image… Mon objectif n’est pas le sauvetage de la pensée libérale en collant quelques rustines, mais de redonner un horizon à ceux qui ne veulent plus d’une société où le voisin est devenu un concurrent. Il faut tout revisiter. Vous trouvez normal que l’on rémunère mieux ceux qui détruisent la planète que ceux qui soignent, accompagnent les personnes âgées, s’occupent des plus fragiles ? Il faut remettre le monde à l’endroit.
Ces dernières semaines, votre parti multiplie les auditions (Martinez, Berger, Hulot, Duflot, Méda, Zuckman…), quel premier bilan en tirez-vous ?
Il y a des convergences fortes sur la nécessité d’ouvrir une nouvelle ère mariant l’impératif de lutte contre les inégalités et de sauvegarde de la planète. Pas de place pour les demi-mesures. Ce qui est frappant, c’est la renaissance d’une nébuleuse progressiste qui voit converger le monde intellectuel, la société civile organisée, qu’elle soit syndicale ou associative, les forces politiques de la gauche et de l’écologie. Je sens une envie de faire ensemble. Personne ne baisse les bras. Face aux drames humains, chacun revendique d’agir pour changer les choses. C’est la définition même de la gauche.
On note aussi que les rapports évoluent dans votre camp…
En effet. Il paraît désormais loin le temps où j’appelais à une gauche des «combats communs» et où je recevais le silence pour seule réponse. Ça bouge enfin ! Sinon que dirons-nous à nos enfants ? Que nous avons renoncé à prévenir les grandes menaces parce que nous étions en désaccord sur une virgule ?
Mais ça bouge vraiment ?
Ça bouge dans les majorités municipales, ça bouge dans les partis, dans la société civile. J’ai proposé une université d’été commune de la gauche et des écologistes à Julien Bayou [le secrétaire national d’Europe Ecologie-les Verts, ndlr] pour entrer dans une première concrétisation. Il s’est saisi de l’idée et l’a fait fructifier avec talent. Il faut maintenant avancer. Ne pas décevoir. Il y aura des résistances dans toutes les formations politiques. Comment en serait-il autrement alors qu’un tel rendez-vous est inédit ? Mais le temps n’est plus à demeurer chacun dans sa zone de confort. Face aux urgences, nos partis ne peuvent pas se lancer dans un concours de petits pas et de faux-semblants. Ouvrons nos portes et nos fenêtres et construisons !
Quelle est la place de Jean-Luc Mélenchon et des insoumis dans les discussions ?
La porte est ouverte à toutes celles et ceux qui sont disposés à une discussion sincère qui ouvre la possibilité d’une alternance, et pas seulement une résistance au pouvoir en place. Jusqu’à présent, Jean-Luc Mélenchon brandit son programme baptisé «l’Avenir en commun», mais qui est commun à ses seuls amis. Je fais confiance à son sens politique pour percevoir vite où sont les dynamiques.
Le gouvernement a annoncé vendredi que le second tour des municipales se jouera le 28 juin : une bonne nouvelle ?
La démocratie ne peut pas rester confinée. Mais il faut s’autoriser jusqu’au dernier jour une nouvelle suspension du scrutin si la situation sanitaire le nécessite.
Quel est l’objectif des municipales pour les gauches ?
Equilibrer le pouvoir national par les pouvoirs territoriaux qui sont des lieux formidables d’expérimentation et d’innovation. Les chocs à venir vont être terribles. Nos maires ont montré qu’ils pouvaient, dans la limite de leurs moyens, pallier les insuffisances gouvernementales. Pour cela, je souhaite arriver à un accord global avec tous nos partenaires. Diriger Paris, Lyon et Marseille est devenu possible. Nous n’avons pas le droit de laisser passer cette chance.
Ça veut dire que lors de la prochaine présidentielle, il n’est pas certain de voir un candidat PS ?
Il faut penser en termes de bloc et de projet. Si nous nous regardons comme des concurrents, comment un socialiste, un écologiste, un communiste ou un radical pourrait accepter un candidat qui n’a pas le même pedigree que lui ? Le bon candidat, c’est celui qui porte le projet commun, incarne une autre façon de gouverner et qui peut nous amener à la victoire. Limiter le débat à celui de l’incarnation, c’est l’assurance de voir se développer des écuries qui n’auront qu’une obsession, se distinguer pour justifier telle ou telle candidature.
Il y a de nombreuses résistances au sein de votre parti…
La question n’est pas le parti mais le pays. Je ne pense qu’au présent et à l’avenir, à l’espérance du peuple français et au futur de notre pays. Quelle est l’histoire du mouvement ouvrier ? Divisé au XIXe siècle, il s’est unifié au début du XXe dans le bien nommé «congrès du Globe». Jaurès, Guesde, Vaillant ont dépassé leurs fortes divergences pour créer la SFIO devenue ensuite le Parti socialiste. Sans ce geste initial, sans leur vision et leur sens des responsabilités, nous n’aurions pas construit le modèle social français et européen. A nous aujourd’hui de bâtir l’offre politique du XXIe siècle en créant un bloc social, écologique, féministe et démocratique !
Est-ce que vous êtes le dernier premier secrétaire du PS ?
Je suis socialiste. Personne ne doit abjurer son identité. Nous devons additionner nos histoires, nos cultures, nos regards pour former un bloc commun. A cette condition-là, il n’est plus interdit de rêver changer la vie.