RDV de la gauche d’après : discours de clôture

RDV de la gauche d’après : discours de clôture

J’ai clôturé ce rendez-vous de la gauche d’après, inédit dans son format puisqu’ouvert à toute la gauche et écologistes.

Chers amis, chers camarades,

Merci d’être venus si nombreux, dans les conditions que nous dicte le risque de reprise épidémique. Je suis tellement heureux de vous retrouver après ces longs mois où nos contacts se sont souvent limités à des visio-conférences.

Depuis plusieurs jours, je suis au milieu de vous, d’abord avec les élus, les très nombreux nouveaux élus, et je salue le président de la Fnesr, François Rebsamen,

Nous sommes accueillis pour la première fois dans cette magnifique ville de Blois, ville symbole de la Renaissance et merci à Marc Gricourt, réélu au premier tour à la tête d’une liste social-écologique, de nous avoir ouvert si chaleureusement ses portes.

Merci à François Bonnot et Karine Gloanec Maurin de nous accueillir dans cette belle région Centre-Val de Loire, qui est aussi celle où j’ai fait mes premiers pas avec vous au Parti socialiste,

Merci à la fédération du Loir-et-Cher, ses militantes et militants, son premier fédéral, Frédéric Orain, pour leur accueil et leur aide précieuse.

Merci à tous les membres de la direction qui ont préparé cet événement en lien avec nos permanents et mon cabinet. Vous avez toute ma gratitude. Merci particulier à Corinne Narassiguin et Richard Bouigue qui ont passé une bonne part de leurs vacances à coordonner le programme de ces journées.

Merci aux membres du service d’ordre dont la dévotion et le désintéressement forcent notre respect.

Et merci chaleureux à nos 200 intervenants, qui sont venus délivrer leurs convictions dans une soixantaine d’ateliers. Vous avez fait vivre un débat riche et puissant. Et je suis certain que chacun repart d’ici enrichi de vos différents apports.

Chers amis,

Je suis aujourd’hui devant vous au moment d’une rentrée sanitaire, économique et sociale inédite. Elle sera excessivement difficile. La France est entrée en récession.

Au moment où nous nous parlons, des millions de salariés, de parents, de professeurs, d’entrepreneurs sont tenaillés par une angoisse sourde. Une angoisse qui est celle du calme avant la tempête – lorsqu’on ne sait pas encore l’ampleur que celle-ci prendra, si ce sera un orage violent ou bien un ouragan.

Une angoisse que trop de commentateurs, trop de responsables politiques, confondent avec de l’apathie, de l’acceptation, ou même de la résignation. Mais nous savons, nous qui connaissons bien les Français dans nos territoires, que l’eau ne dort qu’en apparence. Que la colère n’est pas loin. Qu’il suffirait d’une étincelle pour que tout s’embrase, comme ce fut encore le cas récemment…

Face à ce climat, il faut faire preuve de constance, de solidité, de sang-froid. Nous avons, depuis les premiers jours de la crise, toujours conservé la même attitude. Nous avons cherché à alerter. À ne jamais jeter de l’huile sur un feu déjà vif. Nous avons proposé à chaque étape nos solutions, que ce soit par mon intermédiaire ou celui de nos présidents de groupe Valérie Rabault et Patrick Kanner.

Dès le mois de juin, nous avons présenté notre plan de rebond. Parce que nous savons que chaque jour perdu a et aura des conséquences tragiques pour des dizaines de milliers de salariés, d’artisans, de commerçants pour lesquels la perte d’activité pèse comme l’épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.

Après une brève reprise de l’activité au sortir du confinement, celle-ci a de nouveau chuté. L’épargne de précaution des Français n’a jamais été aussi importante parce que la confiance n’existe pas.

Il est de ce point de vue incroyable que ce gouvernement qui se présentait comme celui de la réactivité, qui voulait transformer la nation en start-up, mette trois mois pour enfin présenter son projet !

Et quand le pouvoir livre ses premières propositions, c’est devant le MEDEF ! Comme si la source de sa légitimité venait du patronat et pas du Parlement qui, lui, demeure absent de toute forme d’information ou de concertation !

Je ne m’étends pas. D’abord parce que nous y reviendrons la semaine prochaine. Ensuite parce que la vraie attente depuis le succès des municipales est moins la critique que la présentation d’une offre politique alternative.

Souvenez-vous, il y a deux petites années, le débat politique se résumait à un face-à-face entre des nationaux-populistes et un camp pseudo-progressiste incarné par un président néo-libéral.

La tendance n’est pas encore totalement inversée. Soyons lucides. Mais les Français ont exprimé avec force ce qu’ils espéraient.

La gauche incarne à nouveau un chemin possible !

Ce que je suis venu vous dire aujourd’hui, c’est que nous n’allons pas nous arrêter là !

Je sais… On me souffle – qu’ici ou là – certains ont la jambe qui traîne ; que d’autres au contraire veulent galoper, mais en solitaire ; que d’autres encore pensent qu’avancer ensemble c’est bien, mais à la condition exclusive d’être devant…

Tout cela n’est pas nouveau. Si j’étais désabusé ou cynique, je vous dirais qu’il en a toujours été ainsi. Que c’est le jeu politique… La politique a toujours renvoyé à des agendas personnels, à des intérêts de boutique, ou à des tactiques si compliquées qu’elles perdent jusqu’à leurs auteurs.

Mais je ne suis ni désabusé ni cynique. Et surtout je ne joue pas. Je ne fais pas de la politique pour me contempler, je ne la vis pas comme un supplément d’âme, pas davantage comme un sport de combat.

Comme vous, je vis la politique comme une urgence !

Parce que, comme vous, je sais que derrière chaque décision ou indécision, il y a des souffrances qui attendent d’être apaisées, des inégalités qu’il faut corriger, des paroles et des cris qui s’impatientent d’être entendus.

Les crises sociales à répétition, les crises financières qui témoignent des dérèglements de l’économie capitaliste, les phénomènes climatiques extrêmes qui bouleversent notre quotidien… Je vois l’angoisse monter. Je vois nos concitoyens perdre leurs repères et s’interroger sur leur avenir. Le risque, c’est celui d’une société sans boussole qui perd le contrôle d’elle-même et qui sombre, peu à peu, dans une grande dépression. 

 

Alors, NON, nous n’avons plus le temps.

 

Plus le temps pour les calculs médiocres.

 

Plus le temps pour les stratégies individuelles.

 

Plus le temps pour les revanches qui appellent des belles et qui conduisent toujours à la défaite.

Si nous n’enclenchons pas maintenant une dynamique nouvelle, celle engagée avec le bloc social-écologique, alors nous serons tous réduits au rôle de spectateurs. Et cette perspective n’est pas acceptable car notre mission, notre rôle, notre responsabilité, c’est d’agir pour changer les choses !

La crise du Covid nous place devant une responsabilité historique. Celle de réhabiliter ce que les droites avaient réussi à dévaluer dans l’esprit public :

L’État providence pour amortir la brutalité de la crise,

l’impératif écologique pour éviter de nouvelles pandémies,

les services publics pour prendre soin des autres,

la protection de nos biens communs pour préserver l’essentiel de la cupidité,

la réduction des inégalités pour reconnaître le labeur des premiers de tranchée…

Nous avons le devoir de saisir toutes ces aspirations nouvelles, à vivre autrement, à donner un autre sens à nos existences, à organiser une trajectoire collective différente.

Mais nous serions naïfs de penser que le « jour d’après » sera inéluctablement un jour social et écologique.

Rien n’indique l’inexorabilité d’une autre politique.

D’abord parce que le changement est un effort sur soi que n’exige pas la paresse conservatrice. Ensuite parce que les mêmes évènements peuvent conduire à des conclusions diamétralement opposées.

La droite néo-libérale n’a pas vu dans la crise d’invitation à changer de modèle. Elle continue à dénoncer le sortilège social-démocrate, figure épurée du dirigisme. Emmanuel Macron, qui a tenu tous les discours pendant le confinement, a une constante qui peut se résumer d’une phrase : on ne touche pas aux grandes fortunes, « quoi qu’il en coûte » à tous les autres…

L’extrême droite, elle, voit dans la crise sanitaire une nouvelle occasion de plaider la fermeture au reste du monde avec des frontières érigées en mesures barrières. Contre le virus et l’étranger suspect de préparer le « grand remplacement ». À ses yeux, le clivage mondialistes/localistes arrive à pleine maturité.

La bataille est donc engagée entre des visions antagoniques de l’avenir. Cette bataille, il faut la mener et personne ne sera de trop.

Et dans cette bataille, chacun de vous ici aura un rôle.

Comme depuis deux ans, lorsque vous m’avez confié la responsabilité de notre formation.

Nous étions tombés si bas que tous ou presque, expliquaient que notre pronostic vital était engagé.

Nous avons reconstruit une équipe. Réappris à travailler ensemble. Sans nous soucier de nos votes de congrès.

Nous avons mené en lien avec la fondation Jean-Jaurès un important travail d’inventaire et j’en ai tiré publiquement des enseignements. Nous n’étions pas les seuls à avoir perdu, mais nous sommes les seuls à voir eu le courage de nous regarder dans un miroir et à chercher à tirer les leçons de nos défaites.

Je me suis employé à remettre le Parti socialiste au cœur du débat à gauche. D’abord en reprenant notre place dans le mouvement social. Puis, à l’occasion des élections européennes, en sortant de débats qui nous paralysent depuis des années et en adoptant à l’unanimité notre projet européen. Je vous ai alors proposé de nous engager dans une démarche d’ouverture avec Place publique, Nouvelle Donne et le PRG. Cette élection était celle de tous les dangers, nous l’avons traversée. Nous avons obtenu six élus au Parlement européen. Et quand je regarde les rôles qu’ils tiennent dans le débat parlementaire, leur influence au sein du PSE, les combats qu’ils ont su populariser, je ne regrette pas un instant ce choix qui était la condition même de notre renouveau. Merci Sylvie de faire vivre cette délégation au Parlement européen.

Nous avons ensuite engagé la préparation des élections municipales, nous l’avons fait en nous appuyant sur notre ancrage territorial, sur la légitimité et la qualité de l’action publique conduite par nos maires. Nous avons abordé ces élections municipales en faisant le choix du rassemblement, de l’ouverture à la société civile, de l’invention et de l’audace.

Là où nous pensions que nous n’étions pas les mieux placés pour gagner nous avons choisi de contribuer à des rassemblements derrière d’autres que nous. Et c’est ainsi que de nombreux maires écologistes ont été élus grâce à la dynamique enclenchée dès le premier tour. Oui, ces victoires, nous pouvons les revendiquer toutes, ce sont celles du rassemblement et de notre mobilisation militante. Personne ne devrait l’oublier.

Paris, Lyon et Marseille, pour la première fois de l’histoire de la gauche, toutes ensemble dirigées par des maires et des majorités de gauche !

Et toutes les autres que Marie et Luc ont tenté d’égrener tout à l’heure. La liste est si longue ! Quel bonheur de vous savoir désormais dans l’action !

À vous toutes et tous, maires et élus de métropole et d’outremer, élus de grandes villes ou de villages, en zone urbaine comme en zone rurale, Vous êtes les actrices et les acteurs de cette renaissance possible à travers l’action de terrain du bloc social-écologique !

Ces victoires viendront renforcer en septembre notre groupe au Sénat autour de Patrick Kanner et permettront à nos partenaires communistes de consolider leurs positions et aux écologistes de reconstituer un groupe.

Je suis fier de cette trajectoire. Et ce bilan mes camarades, c’est le vôtre.

Oui, le vent s’est levé ! Et cette fois la victoire était au bout du chemin et ce pour la première fois depuis 8 ans ! Une décennie  que je n’avais plus croisé vos sourires lors d’une soirée électorale !

Mais vous le savez bien, rien n’est jamais acquis.

Alors quels sont désormais notre responsabilité et notre rôle à nous socialistes ?

On exige de nous de la clarté, parfois même des clarifications ? Je vais être clair.

La promesse initiale, c’est celle de Jaurès : c’est la République jusqu’au bout. Voilà notre moteur depuis l’origine. Voilà pourquoi vous et moi nous sommes engagés. 

On exige de nous de la clarté, parfois même des clarifications ? Je vais être clair.

La promesse initiale, c’est celle de Jaurès : c’est la République jusqu’au bout. Voilà notre moteur depuis l’origine. Voilà pourquoi vous et moi nous sommes engagés.

Mais elle n’est pas allée jusqu’au bout.

Elle a déçu, souvent. Elle a trahi, parfois.

Elle n’a pas comblé toutes les inégalités de destin. Ses valeurs universelles ne sont pas encore appliquées. C’est la vérité.

La République jusqu’au bout n’est pas encore advenue.

La République jusqu’au bout est une exigence.

Oui, elle n’est pas parfaite.

Elle est à bien des égards lacunaire.

Et c’est parce qu’elle est lacunaire aujourd’hui, parce qu’elle n’a pas su donner des raisons d’espérer à ceux qui attendaient tant d’elle, que certains sont tentés de se replier sur une culture, sur une identité, sur une religion.

Notre pays se fragmente et je souffre de le voir se fragmenter.

Ces dissociations me touchent – intimement.

Je suis le fruit de la rencontre entre deux cultures.

Ma mère est née à 10 231 kilomètres de Blois. On lui a appris que ses ancêtres étaient gaulois, sur une terre dont Vercingétorix ignorait jusqu’à l’existence.

Son père, mon grand-père, s’est battu contre la colonisation française.

Et j’aime notre pays passionnément.

Sur ce sol fertile nos aînés ont pensé la liberté, l’égalité. Et la fraternité. Ils en ont fait la devise de notre pays.

Bien sûr, la fraternité est bien théorique pour les jeunes noirs ou d’origine maghrébine qui subissent les discriminations à l’emploi, au logement, les contrôles au faciès.

Mais la question est moins de savoir quelle statue déboulonner, que de savoir si la République a manqué ou non à son devoir de fraternité. La question est de savoir si la République a manqué à certains de ses enfants, la question est de savoir si la République a masqué et ignoré son passé colonial, esclavagiste.

Eh bien oui, chers camarades, nous savons que la République n’a pas tenu toutes ses promesses, et qu’aujourd’hui encore la République ne tient pas ses promesses envers tous ses enfants, tous ses quartiers et c’est justement à nous qu’il revient de rétablir la promesse de la fraternité républicaine, de refaire de cette république un commun, un creuset.

Mais rien ne justifie le fait d’établir des listes de soignants noirs pour les Noirs. La République fraternelle, c’est la possibilité d’être noir et d’être soigné par un médecin blanc. C’est d’être blanc et d’être soigné par un médecin noir. C’est d’assurer à chacun d’être soigné. Point !

À tous ces Français qui plongent leurs racines dans d’autres continents, je dis : rien ne serait pire que de considérer que l’on ne peut être entendu et compris que par celui que l’on perçoit comme son semblable. Comment irez-vous demain lutter contre les discriminations si les origines deviennent des barrières infranchissables ?

Refusez d’être considérés comme des indigènes, refusez de vous vivre comme racisés. Faites valoir vos droits comme Français, parce que c’est ce que vous êtes ! Portez avec fierté vos singularités, mais refusez le ghetto !

La France de métropole et de nos outremers est une nation métissée. La France n’a pas de couleur de peau. La France n’a pas de religion. Elle n’a qu’un seul souverain, le peuple citoyen, le peuple civique, le peuple démocratique.

Et c’est parce que nous sommes un pays laïque, que chacun peut trouver sa place. Ici, vous pouvez croire au Ciel ou penser qu’il est vide. C’est ça la République française ! Et cette idée-là, elle n’est pas négociable. Parce qu’elle fonde notre capacité à vivre ensemble.

Il y a bien entendu des communautés d’origine, des affinités culturelles ou religieuses, mais il n’y a qu’une seule communauté de destin, c’est la communauté nationale.

Et c’est pourquoi il n’y a pas de place sur notre sol pour un affrontement entre communautés. C’est pour cela qu’il n’y a pas d’excuse à trouver à des parents qui humilient leur fille en la tondant parce qu’elle a eu l’audace d’aimer un jeune homme qui ne priait pas le même dieu.

Parce que la République jusqu’au bout, c’est évidemment l’égalité entre les femmes et les hommes. 

C’est le combat contre les violences faites aux femmes. Et la première des réparations, c’est de ne pas ajouter à l’agression ou au crime, le mépris de leur parole ! Et de ce point de vue, l’exemple donné par ce gouvernement est le pire que l’on puisse produire. Je ne sais pas si Gérald Darmanin est coupable ou innocent, mais ce que je sais, c’est que la parole de la potentielle victime a déjà été dénigrée et que les conditions d’un jugement équitable ne sont plus réunies.

La défense de Gérald Darmanin plaide le fait que cette femme soit une call-girl. Mais quelle est cette idée selon laquelle il y a des femmes qui seraient moins femmes que d’autres ?

Le combat féministe nous devons le porter après Gisèle Halimi, avec toutes ces femmes qui, depuis #MeToo, se sont levées.

Et ce que je dis pour les autres vaut pour nous-mêmes. Nous avons dû prendre parfois des décisions douloureuses lors des élections municipales, mais nous l’avons fait parce que cela fait trop longtemps que la loi du silence l’emporte sur la nécessaire humanité.

Le combat ne s’arrête pas là. Il doit viser le partage du pouvoir. Les inégalités de revenus, les congés parentaux…

Et j’ai une pensée pour ces femmes que l’on a érigées en héroïnes pendant le confinement, dans ces professions invisibilisées parce que majoritairement féminines : caissières, auxiliaires de vie, aides-soignantes, infirmières, sages-femmes, assistantes maternelles.

La promesse du socialisme c’est celle d’une vie meilleure. Cet objectif n’a pas varié. Mais sa traduction doit évoluer.

Le monde a changé. Sous l’effet de l’action humaine, de son génie, les distances ont été abolies, la production à l’échelle industrielle a permis de satisfaire des besoins massifs, nous communiquons sans frein d’un bout à l’autre du globe, mais nous sommes en passe d’épuiser une planète à laquelle nous demandons plus qu’elle ne peut nous offrir. Nous sommes en train de programmer nous-mêmes l’obsolescence de nos ressources naturelles.

Notre approche de l’humanisme doit donc se renouveler en intégrant notre relation à la nature et aux technologies. Nous sommes parvenus à cette situation paradoxale où la puissance technique permet le contrôle de la nature, mais nous ne maîtrisons plus la technique. Il est devenu impératif de créer une éthique qui encadre ce pouvoir technologique et de tisser à nouveau un lien avec la nature.

Notre vision du progrès elle-même doit évoluer. Qu’est-ce qui fait la richesse, qu’est-ce qui améliore notre vie, qu’est-ce qui nous permet d’aller au bout de nous-mêmes, de nous émanciper, de nous construire ? Déjà les premiers socialistes, avant l’avènement du marxisme, avaient proposé des réponses à cette question. Ils avaient mis en avant la coopération et l’entraide, l’accès à la connaissance et la culture, la réponse aux besoins humains fondamentaux, du temps pour les siens, pour participer à la vie de son quartier.

La liberté de l’homme, sa capacité à réaliser ses aspirations, ne peuvent plus reposer sur un mouvement d’accumulation ininterrompue des richesses matérielles, tout simplement parce que ces richesses ont elles-mêmes une base matérielle, que cette base, ce sont les ressources de la planète, et que nous avons dépassé ses limites…

C’est un défi et une clarification que nous devons aux Français car le pacte social-démocrate a été construit sur une répartition de richesses dont la production était fondée sur l’exploitation sans fin de la planète et de ses ressources.

Au cours du siècle dernier, la gauche avait en commun le productivisme avec les capitalistes. Et le débat portait exclusivement sur la répartition du gâteau. C’est terminé ! C’est terminé parce que c’est le gâteau lui-même qui est menacé de disparition. Et parce que les premières victimes de l’anthropocène, ce seront les classes populaires et les générations futures.

C’est le sens de notre combat pour le climat, la volonté que nos enfants et leurs enfants après eux, ne connaissent pas les conséquences de notre irresponsabilité. Que la « vie vivable » ne devienne pas le privilège de ceux qui ont les moyens de se protéger des aléas climatiques et des désordres écologiques.

La justice écologique est et sera le cœur de notre combat. L’écologie sans la justice sociale, ça se termine par les « gilets jaunes ».

Mais je le dis aussi, notre écologie ne sera jamais la déification d’une nature idéalisée dont il faudrait accepter qu’elle devienne le fondement de notre ordre social. Au bout de cette logique, il y a le darwinisme social. La loi de la nature c’est la loi du plus fort. Et nous avons inventé les droits humains contre cette idée d’un ordre naturel immanent. Nous lui avons opposé un ordre humain toujours en construction. Notre écologie est un humanisme.

L’homme n’est pas un intrus dans la nature. C’est pour permettre aux humains d’y vivre que nous voulons préserver la planète. Il s’agit d’articuler nos besoins et nos capacités à les satisfaire. C’est cette vision globale, cohérente, de la personne humaine, dans tout ce qui fait sa vie, son épanouissement, sa capacité à prendre place dans le monde, à le comprendre et à le transformer, qui est le cœur de notre combat. L’environnement, l’école, l’éducation populaire, la culture, la santé, doivent être pleinement reconnus comme des enjeux majeurs pour la personne humaine. 

La réponse exclusivement matérielle aux besoins humains, le culte de la performance, de la productivité, la diffusion non maîtrisée des technologies ont alimenté un puissant mouvement de déshumanisation de notre société. Ré-humaniser le monde, c’est le fil conducteur de notre action.

 

Humaniser au 19e siècle, c’était sortir des régimes héréditaires et autoritaires. Et le débat qui a structuré cette époque, c’était celui de la démocratie.

Au 20e siècle le mouvement ouvrier a imposé la question sociale et Jaurès a opéré la synthèse entre la République et le social.

Au 21e siècle, il y a une nouvelle synthèse à produire. Entre République, social et écologie. Synthèse, pas substitution. La lutte pour le climat n’efface pas la lutte contre les inégalités. Et rien ne se fera sans approfondissement démocratique.

Et c’est cette synthèse qui doit nous conduire à construire ensemble un État providence social-écologique.

Mais ce qui donne son sens à l’idée même de progrès, c’est le choix des réponses collectives et c’est l’importance donnée à l’expression des citoyens dans la vie démocratique.

Un des premiers enjeux, c’est justement de redéfinir ensemble ce que sont les biens communs, ceux qui doivent échapper à la logique du marché parce qu’il s’agit des ressources essentielles qui permettent d’organiser les réponses collectives face aux nouveaux enjeux et aux risques qui nous menacent.

La question de l’accès à un possible vaccin contre le Covid a donné une actualité et une visibilité à ce combat.

L’OMS vient d’annoncer cette formidable nouvelle pour nos frères et sœurs africains. La polio est enfin éradiquée de ce continent après 30 années de combat. L’épidémie est enfin enrayée après avoir handicapé tant d’enfants à vie ! Et ce résultat, nous le devons à un homme, Jonas Salk, qui est celui qui a découvert le vaccin contre la polio et qui a refusé de le breveter pour le rendre accessible à l’Humanité toute entière !

Les vaccins peuvent devenir des biens communs mais ils ne peuvent rien si chacun n’a pas le souci du commun en se protégeant pour protéger les autres.

Il y a un bien commun qui, plus que tous les autres, mérite notre attention. Il s’agit de la démocratie. La vie politique est malade de l’excès de personnalisation qui a pour corollaire l’insuffisante association de nos concitoyens et l’affaiblissement continu de leurs représentants.

La gauche a depuis trop longtemps endossé les excès de la Ve République. Et quand je vois refleurir les ambitions personnelles avant même l’élaboration d’un projet collectif, je m’inquiète de notre capacité à sortir de la logique jupitérienne.

Oui, nous devons faire évoluer nos institutions. En finir avec le président monarque. Le Premier ministre collaborateur. Le Parlement croupion. Les citoyens impuissants. La démocratie, ça ne peut plus être une lettre de mission donnée tous les 5 ans à un seul.

La gauche, ce n’est pas le culte de l’homme providentiel, ce n’est pas le bonapartisme, ce n’est pas le césarisme. La gauche, c’est la volonté de faire en commun !

Voilà, chers camarades, quelques éléments d’identité pour redéfinir à la fois la place que nous occupons au cœur de la gauche et la contribution qui peut être la nôtre à sa reconstruction.

Nous sommes bien loin de l’effacement, nous sommes dans le choix conscient et délibéré d’une nouvelle aventure que je vous propose d’assumer collectivement : celle du rassemblement autour d’une offre sociale, écologique, démocratique, féministe et européenne.

J’entends dire que c’est impossible. Que nous n’y parviendrons pas. C’est en général ce que disent les gens qui ne le souhaitent pas !

Mais je ne nie pas la difficulté. Les cicatrices, les rancœurs, les méfiances, les ambitions, les désaccords réels ou surjoués… Je n’ignore rien de tout cela.

Mais si la politique a encore un sens pour nous, alors notre première réflexion relève de l’éthique. Nous avons une responsabilité d’abord vis-à-vis des femmes et des hommes qui attendent de nous des réponses et une espérance nouvelles ;

Une responsabilité vis-à-vis du pays lui-même, déchiré par les politiques menées depuis trois ans, fragilisé par les crises à répétition, angoissée par un avenir toujours plus incertain.

Sommes-nous capables les uns comme les autres de faire le constat lucide qu’aucune aventure personnelle ne triomphera de l’élection présidentielle ? Qu’aucune composante de la gauche et de l’écologie, ne soumettra les autres ? Qu’aucun n’acceptera de suivre aveuglement l’un de ses partenaires comme s’il s’agissait d’une reddition ?

Si projet commun il doit y avoir, il s’abreuvera à toutes les sources de la gauche et sera le résultat d’une construction collective nouvelle.

« Pour le climat tout doit changer » je prends,

« ne pas opposer la fin du monde et la fin du mois »  je prends,

« nos vies valent mieux que leurs profits » je prends,

« l’humain d’abord » je prends encore.

Ce que nous devons partager, c’est un état d’esprit, une volonté de dialogue et un respect mutuel.

Il ne s’agit pas de fusionner les formations existantes, ni même de simuler une fausse unanimité, il s’agit de se mettre d’accord sur un programme de gouvernement pour les cinq années qui viennent.

Pour la première fois peut-être en France, il s’agit de construire une véritable coalition ; il s’agit de se mettre d’accord sur un programme d’action.

Ce projet, ce contrat, s’il n’était alimenté que par les partis politiques, passerait à côté de ce qu’est aujourd’hui la société française et la vie politique dans la République. La gauche d’Après ne se limite pas aux seuls partis politiques, ce sont aussi les syndicats, les associations, les ONG, l’ensemble du mouvement non lucratif, les think tanks, les citoyens engagés dans des causes et dans des combats locaux. C’est l’ensemble de ces forces qu’il s’agit de mobiliser pour construire un projet collectif, c’est de l’ensemble de ces énergies que nous aurons besoin pour construire une force suffisamment puissante pour prétendre arriver à la tête du pays, du « pacte pour le pouvoir de vivre » au « collectif plus jamais ça » !

Notre ambition doit être à ce niveau-là !

Il ne s’agit pas seulement de gagner l’élection présidentielle, il ne s’agit même pas de disposer ensuite d’une majorité parlementaire, c’est indispensable, mais cela ne suffit pas ! Il s’agit de disposer de la capacité à agir dans le pays, pour le transformer, pour aller au-delà des discours, pour ancrer le changement dans les réalités européennes, nationales et locales !

Pour réussir vraiment, nous aurons certes besoin d’un président et d’une majorité parlementaire, mais nous aurons aussi besoin d’une mobilisation sociale et citoyenne, et d’une mobilisation des territoires. Sans cette mise en mouvement de la société, il n’y aura pas de transformation sociale et écologique et nous échouerons. 

Olivia Fortin s’est exprimée devant vous et a rappelé ce qui a été l’itinéraire collectif du Printemps marseillais. Se mettre ensemble autour d’une table sans exclusive et sans préalable. Partir des combats du quotidien, partir des questions qui se posent dans la société, pour construire collectivement un projet politique, c’est la seule méthode possible. À Marseille, nous sommes le seul parti à y avoir cru dès le premier jour.

Elles sont là les conditions de la réussite et c’est pour cela que nous devons réaliser au niveau national ce que nous avons fait au niveau local à l’occasion des élections municipales : plonger nos racines dans la société, dans les mouvements sociaux, dans les expérimentations et les pratiques citoyennes innovantes. Dépasser le cadre des partis, s’appuyer sur les citoyens, mobiliser une opinion élargie.

Ce que je propose aujourd’hui, c’est de lancer ensemble le printemps de la gauche et de l’écologie : une démarche collective ouverte à toutes et à tous, ouverte à l’ensemble du mouvement social, aux intellectuels, aux artistes…

Je vois trois horizons pour cette démarche.

– D’abord animer dans chaque région du pays cette démarche de printemps pour préparer les élections régionales et départementales. Ces échéances seront un premier test de notre maturité. Si nous partons divisés lors des échéances de mars 2021, alors nous avons peu de chances de partir unis à l’élection présidentielle. Comment espérer un candidat unique à la présidentielle quand on n’est même pas capables d’avoir des candidats communs aux régionales et départementales ? Inversement, chaque victoire commune servira de point d’appui pour gagner les élections présidentielle et législatives.

– Ensuite, dès les prochaines semaines, ouvrir le débat sur le projet dont notre pays a besoin face aux crises économique, sociale, écologique, démocratique et sanitaire qui sont aujourd’hui notre quotidien. J’ai esquissé dans mon intervention quelques pistes, d’autres amèneront de nouvelles perspectives, d’autres idées critiqueront celles que je propose, et c’est bien l’intérêt de ce débat.

Enfin, nous aurons affronter la question de la désignation d’une candidate commune, ou d’un candidat commun, pour l’élection présidentielle de 2022. Cette question se posera au lendemain des élections régionales et départementales. Les conditions dans lesquelles elle se posera dépendront évidemment à la fois de la manière dont nous aurons géré collectivement ces échéances et de leur issue favorable ou non pour notre camp politique.

Qui sera-t-il ? Qui sera-t-elle ? D’où viendra-t-il ? D’où viendra-t-elle ?

Je vais vous livrer ma conviction. Il ne sera pas écologiste. Il ne sera pas socialiste. Il ne sera pas communiste. Il ne sera pas insoumis. Il ne sera pas radical. Il portera tout cela à la fois ou ne sera pas le candidat commun. Surtout, il ne gagnera pas.

La construction d’une nouvelle aventure collective, d’un nouvel espace commun de la gauche et des écologistes ne peut passer que par la coopération, que par le consentement, que par la construction progressive d’une volonté collective. 

C’est le pari que je vous propose de faire aujourd’hui.

C’est le pari dans lequel je vous propose que nous mettions toutes nos forces.

Parce que nous sommes par essence les militants et le parti du rassemblement de la gauche.

Et parce qu’il est temps de répondre à celles et ceux qui attendent et espèrent une alternative sociale, écologique, démocratique, féministe et européenne.

Je sais que ce chemin est le plus difficile.

Mais comme le proclamait Albert Camus, lui qui imaginait Sisyphe heureux :

« Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants qui sachent faire à la modération sa juste place. »

Nous ne sommes pas des âmes tièdes et je sais déjà pouvoir compter sur vos cœurs brûlants !

Vive la gauche, vive la République et vive la France !