Interview au Point « C’est à nous de montrer le chemin »
Après les hommages, la polémique. Qu’il s’agisse des rayons communautaires dans les supermarchés, de procès en laïcité revancharde ou d’accusations d’islamophobie, la classe politique fait feu de tout bois. Passé le temps de la concorde, ce sont bien les prémices de la future campagne présidentielle qui se dessinent. Le président de la République ne s’y est pas trompé, lui qui promettait, martial, à l’issue d’un conseil de défense dimanche dernier : « Les islamistes ne doivent pas dormir tranquilles dans notre pays. » À gauche, on réfute l’idée d’un nouveau duel Macron-Le Pen tout en appelant à l’unité sans qu’aucun candidat ne parvienne à émerger. De quoi tendre les nerfs socialistes déjà éprouvés par trois ans de macronisme. Olivier Faure, le premier secrétaire du parti à la rose, député de Seine-et-Marne, était présent à la cérémonie d’hommage mercredi soir dans la cour d’honneur de La Sorbonne. Il réagit pour Le Point à la crise actuelle et assume : aujourd’hui seule la gauche est crédible.
Le Point : Vous étiez à la cérémonie d’hommage à Samuel Paty et avez assisté au discours du président de la République. Qu’attendez-vous maintenant du chef de l’État ?
Olivier Faure : Je salue le discours du président de la République qui reflétait ce que nous partageons tous après cette tragédie. Maintenant, au-delà de l’hommage nécessaire, il faut passer à l’action. Mettre fin à une forme de naïveté et avoir un regard à 360 degrés qui permet d’être dur avec l’islamisme radical, mais aussi dur avec ses causes. Il doit y avoir un volet répressif, que la législation actuelle autorise dans la plupart des cas. Et pour les manques, les socialistes sont prêts à apporter leur concours. Mais marcher sur deux jambes c’est ne pas se limiter à traiter les symptômes, mais aussi les racines du mal. Il y a beaucoup à faire sur le plan éducatif pour soutenir les enseignants. Les inégalités territoriales, les discriminations, le racisme, doivent être combattus comme jamais. Il faut se battre contre tous les séparatismes. Il faut que chaque Français indépendamment de ses origines, de son quartier, de sa religion, sente qu’il est à nouveau un projet pour la République. Faute de quoi les esprits les plus fragiles seront la proie de ceux qui prétendent les relever de leur humiliation par l’engagement fanatique.
Jean-Luc Mélenchon a lui-même été taxé de « raciste » après avoir dit qu’il y avait un « problème » avec la communauté tchétchène…
J’ose espérer qu’il ne pensait pas ce qu’il a dit. Comment pourrait-on accabler un peuple entier au nom des exactions de l’un d’entre eux ? Je crois avoir compris qu’il regrettait cette réaction qui essentialise une communauté. Il était impératif de corriger cette formulation qui relève d’un racisme trop ordinaire.
Vous parlez de fin de la naïveté, mais la gauche française ne fait-elle pas partie du problème ?
Depuis que je suis premier secrétaire, vous ne trouverez pas une seule décision ou appel à participer à quelque manifestation que ce soit, qui marque la moindre complaisance vis-à-vis de ceux qui combattent les valeurs républicaines comme l’islamisme politique. Nous n’étions pas présent à la manifestation du 10 novembre 2019 à Paris organisé notamment par le CCIF parce que nous ne voulions pas signer un appel qui remettait en cause notre engagement laïque. Nous sommes extrêmement clairs sur ce que nous avons à porter. J’espère qu’à la faveur de ce moment tragique, la gauche saura se retrouver sur ces fondamentaux. La laïcité, la lutte pour l’émancipation par l’école, la lutte contre tous les obscurantismes et la volonté d’inscrire notre pays dans un progrès humaniste constant.
La dernière sortie du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à propos des rayons communautaires dans les supermarchés fait craindre une surenchère. Le gouvernement a-t-il raison d’appuyer là où ça fait mal ?
Il ne faut pas confondre action et agitation. Le risque c’est la fracturation de la société française. Quand le ministre de l’Intérieur en vient à considérer que les rayons alimentaires confessionnels sont le chemin qui conduit au communautarisme, que veut-il dire ? Que l’appartenance à une confession vous rend automatiquement suspect de repli identitaire ? Ne nous trompons pas de combat. Par ailleurs, au moment où se déroule le procès des attentats de 2015 qui avaient aussi pour cible les clients d’un Hyper Cacher, ces propos sont plus que malheureux. Il faut se battre contre un ennemi bien identifié, l’islamisme. Pas l’Islam. J’entends que Gérald Darmanin a aussi proposé de remettre en cause les règles du droit d’asile. La surenchère est dangereuse. Nous ne vaincrons l’islamisme radical qu’en restant fidèles à nos valeurs.
Samuel Paty, l’enseignant assassiné, est devenu le « visage de la République », a rappelé le chef de l’État hier dans la cour d’honneur de La Sorbonne. Que dites-vous à ces hussards noirs de la République ?
Qu’ils sont le premier rempart face aux fanatismes. Pendant la cérémonie d’hier, les enseignants qui ont parlé avant Emmanuel Macron ont lu deux lettres. La première, celle de Jean Jaurès, « La lettre aux instituteurs et aux institutrices », où il leur rappelle la nature de leur mission. Une mission d’émancipation. L’école c’est le lieu où l’on apprend à apprendre, à réfléchir par soi-même, à ne plus dépendre de l’influence exclusive de son milieu, en un mot : à être libre. Oui, nos enseignants sont les successeurs des hussards de la République. Aux pouvoirs publics de les soutenir sans faiblesse à la hauteur de ce que nous leur devons.
Et ce sont aussi vos électeurs…
Ils n’appartiennent à personne. Mais ce qui est exact c’est que l’ADN de la gauche se confond historiquement avec la défense de l’école et de la laïcité. Il faut se rappeler que la droite y est historiquement très réticente, sans parler de l’extrême droite, et que par une inversion curieuse, ces antilaïques d’hier utilisent la laïcité à usage exclusif des musulmans et, hélas, certains à gauche qui confondent la défense des plus faibles avec une tolérance pour des discours antirépublicains. Il est temps de remettre toutes les pendules à l’heure.
On a l’impression que les Français n’en peuvent plus et que seuls les actes comptent. Que proposez-vous ?
Parce que l’assassinat de Samuel Paty fait suite à un lynchage sur les réseaux sociaux, cet attentat a peut-être permis une prise de conscience. Le passage à l’acte est encouragé par un climat. Le combat républicain est-il un combat périmé ? Le discours républicain est-il devenu une langue morte ? Non, certainement pas. Je dirai plutôt qu’il est devenu une langue étrangère pour certains de nos concitoyens. Il faut rebâtir un dialogue. Faire en sorte que la République soit fidèle à toutes ses promesses pour chacun de ses enfants. C’est pour ça que je parle de marcher sur nos deux jambes. Combattre l’islam radical suppose de lutter contre toutes les formes de ségrégations, car si nous ne le faisons pas, nous risquons de donner l’impression que la République est hémiplégique. Pour engager ce combat, il faut prendre un nouvel élan. Les socialistes apporteront leur concours à tout ce qui permet une victoire durable contre le terrorisme islamiste, mais ils se refuseront au concours Lépine ou à la surenchère. Il faut opérer ! Pas se limiter à un cachet d’aspirine ou à anesthésier temporairement le corps social avec des antalgiques.
Il est un refrain chez les socialistes qui dit que c’est dans les moments difficiles que la gauche est appelée au pouvoir en France. Cela vous laisse-t-il de l’espoir ?
Nous avons une responsabilité particulière. Si la gauche française continue à être « la plus bête du monde », à être dans une forme de compétition interne, voire dans la négation de ce qu’elle a porté historiquement, nous déroulerons le tapis rouge à Emmanuel Macron et Marine Le Pen pour la prochaine présidentielle. Nous avons une responsabilité très lourde, celle de faire émerger une alternative au nationalisme qui conduit à l’affrontement de tous contre tous. Notre projet c’est la République sociale et écologique pour affronter ce moment de crises inédites qui se conjuguent. C’est à nous de montrer le chemin alors que s’avance une crise sociale et économique inédite.