Autoroutes : « La préservation de l’intérêt général n’est plus assurée, il est temps d’arrêter les frais »
Avec les députés et sénateurs socialistes, je co-signe cette tribune parue dans le Monde. Il est grand temps que l’Etat reprenne en main le dossier des concessions autoroutières !
La vente des participations de l’Etat dans les sociétés d’autoroutes en 2005 a donné naissance à un secteur d’activité dominé par de puissantes sociétés concessionnaires. Vinci, Eiffage ou Abertis exploitent à elles seules plus de 90 % du réseau.
Le 11 octobre 2005, Thierry Breton, ministre de l’économie, déclarait : « Ceux qui pensent que le seul fait que l’Etat soit actionnaire garantit les missions de service public n’ont rien compris ! C’est le contrat et non l’actionnaire qui établit les responsabilités d’une entreprise. » Certes. Mais si le réseau est en excellent état, l’augmentation des tarifs et les bénéfices enregistrés par les concessionnaires sont hors de toute proportion : 23,4 milliards de dividendes ont été versés depuis 2006.
Les déséquilibres des contrats en faveur des concessionnaires sont soulignés rapport après rapport par le Parlement, l’Autorité de la concurrence, la Cour des comptes, des experts indépendants… Cet été encore, une commission d’enquête du Sénat concluait à un risque sérieux de surrémunération des concessionnaires de 40 milliards d’euros, avec une rentabilité qui doublera sur la période 2020-2036, comparativement à 2005-2020, pour atteindre des niveaux stratosphériques. Certaines concessions atteindraient leur profitabilité cible dès 2022, soit plus de dix ans avant leur terme.
Quant à l’Autorité de régulation des transports, pourtant chargée d’un contrôle de ces contrats, elle confesse dans son rapport de 2020 ne pas avoir pu en établir fidèlement la rentabilité globale. Dans deux récents articles, les juristes Jean-Baptiste Vila et Yann Wels (« L’équilibre économique des autoroutes et la couverture du risque : une lapalissade juridique étatisée », et « Convoquons les Etats généraux du droit pour les concessions d’autoroutes ! », « La Semaine juridique », n° 48) contestent la pertinence du modèle utilisé pour tenter d’obtenir cette estimation et s’interrogent sur la légalité de mécanismes financiers importants comme le mode de fixation des tarifs.
Il semble aujourd’hui impossible de déterminer l’équilibre économique des concessions, donnée pourtant essentielle à leur légalité et consubstantielle à l’évaluation de la pertinence de tous leurs paramètres constitutifs, à commencer par les tarifs. Contraint par la complexité des contrats, « des monstres » dixit Elisabeth Borne [en juin 2020, à l’époque ministre de la transition écologique et solidaire], l’Etat semble avoir perdu toute volonté sérieuse d’agir. Le sujet n’est pas tant le recours à des concessions que l’incurie actuelle de contrats trop souvent modifiés et mal négociés dès 2005.
Entre données économiques viciées et enjeux juridiques irrésolus, plus personne ne semble capable de dire ce que sont les responsabilités dont parlait Thierry Breton. La préservation de l’intérêt général n’est plus assurée et il est temps d’arrêter les frais. L’Etat doit reconnaître l’ampleur du problème et y apporter une réponse en renégociant voire en mettant fin à ces hydres juridiques.
Les données de l’équation sont connues. La fin des contrats entre 2031 et 2036 permet de travailler à la création d’un nouveau système d’exploitation de nos autoroutes. Parlementaires responsables, nous proposons une méthode et des pistes de réflexion :
– Demander sans délai un avis au Conseil d’Etat pour lever les doutes concernant la légalité des contrats, comme nous le suggérons dans une proposition de résolution déposée à l’Assemblée.
– Mettre en place un groupe d’audit des contrats qui aborde l’ensemble des aspects juridiques, comptables, économiques, et qui dispose pour ce faire de l’ensemble des données et moyens nécessaires.
– Etablir le coût actualisé d’une résiliation anticipée des contrats afin de les renégocier, voire de les rompre, si les concessionnaires ont bénéficié d’avantages financiers indus dans des proportions justifiant qu’aucune compensation ne soit versée.
L’heure d’une maîtrise publique moderne des services publics est venue. Elle doit s’articuler autour de nouvelles relations contractuelles entre les gestionnaires des infrastructures de transports et la puissance publique, avec au cœur la prise en compte de l’usager, les approches multimodales et intermodales des mobilités et la transition écologique.
Nous ne prétendons pas apporter toutes les réponses, mais nous affirmons que l’incapacité à en produire est irresponsable et même suspect. La balle est dans le camp du gouvernement.