«Macron a choisi l’extrême droite comme son faire-valoir»
Dans cet entretien à Libération, je dénonce la «trahison» par le Président des millions de citoyens qui ont voté pour lui en 2017 pour faire barrage à l’extrême droite.
Beaucoup d’électeurs de gauche annoncent qu’ils ne se déplaceront pas l’an prochain en cas de duel entre Macron et Le Pen. Ça vous étonne ?
Libé n’a fait que donner de l’écho à ce que j’entends depuis des mois. Des électeurs désabusés, ce n’est pas la première fois. Mais cette fois, la colère est plus puissante, parce que le pouvoir ne s’est pas présenté pour ce qu’il est. Cette fable du «et de gauche et de droite» a amplifié le sentiment de trahison. En prétendant incarner seul le cercle de la raison, en disqualifiant le débat parlementaire, en contournant les corps intermédiaires, en méprisant les élus locaux, le Président a organisé le débat avec l’extrême droite. Il l’a choisie comme son faire-valoir. Il en fait son argument à chaque échéance électorale. Il a épuisé le filon et banalisé Marine Le Pen, vécue comme le seul challenger. C’est au bloc social-écologique de se montrer à la hauteur de sa responsabilité et de bousculer ce scénario.
D’où vient cette fracture ?
La trahison. Quand on gagne face à l’extrême droite, on ne peut pas gouverner comme si on avait gagné sur son seul projet. Il faut tenir compte des millions de citoyens qui n’ont voté pour vous que pour rejeter l’extrême droite. Nous étions en droit d’espérer que 2017 ne soit pas la réédition de 2002. Or, Emmanuel Macron a fait pire. Il n’a pas cherché à entendre la majorité qui s’est portée sur son nom au second tour. Il a même tourné le dos à ses électeurs du premier tour. Il n’a fait que renforcer les inégalités et préservé les «premiers de cordée». Il devait rendre la «planète great again». Il ne respecte ni les engagements des accords de Paris, ni ceux pris devant la Convention citoyenne. Le Président a inauguré une présidence «jupitérienne» : ni les gilets jaunes ni le mouvement social contre la réforme des retraites ne lui ont fait prendre conscience qu’il approfondissait les fractures de notre pays. Le candidat se voulait rempart contre l’extrême droite, mais son ministre de l’Intérieur trouve Marine Le Pen «trop molle», les règles d’accueil pour les réfugiés et leurs enfants ont été durcies, la doctrine de maintien de l’ordre n’a pas été révisée après les trop nombreux dérapages de policiers et nous avons échappé de peu à l’interdiction pour la presse de filmer dans les manifestations.
Emmanuel Macron est-il le carburant du Front National ?
Je l’ai dit il y a deux ans : «Ce n’est pas un rempart, c’est devenu une passerelle». On m’avait reproché la formule. Mais aujourd’hui, les chiffres sont formels : le duel que l’on nous promet est un danger pour notre pays. Quand le gouvernement relance sa réforme meurtrière de l’assurance chômage en pleine crise sanitaire et sociale, renvoie à une réforme des retraites pour rembourser la dette, je me demande ce qui le traverse. Il faudrait épargner les grandes fortunes et la grande distribution… En revanche réduire les droits des victimes de la crise économique, pas de problème ! Au premier rang de ces futurs recalés de l’assurance chômage, il y a les plus jeunes à qui le pouvoir refuse un «minimum jeunesse», comme nous l’avons proposé au Parlement.
Dans les témoignages que «Libé» a reçus, des électeurs pointent le quinquennat Hollande qui a créé beaucoup de «déception»…
Contrairement à toutes les formations politiques qui ont perdu en 2017, le Parti socialiste a été le seul à accepter de regarder courageusement sa défaite en face. En en prenant la responsabilité d’un inventaire, je ne me suis pas fait que des amis. A l’inverse, Manuel Valls a eu la même tentation que Macron aujourd’hui : dramatiser en présentant un RN «aux portes du pouvoir» pour mieux étouffer les offres alternatives et tenter d’être le seul «recours». Je considère que si nous en sommes à ces niveaux stratosphériques de défiance politique, c’est parce que des dirigeants en faiblesse ont trop souvent joué à ce petit jeu du chantage au Rassemblement national.
Aujourd’hui, la gauche est divisée et le risque est de voir se rejouer le duel de la dernière présidentielle. Comment sortir du piège ?
Il faut que chacun se regarde dans une glace et se pose cette question simple : si Emmanuel Macron est un mauvais président, si son bilan peut nous conduire à Marine Le Pen, si la pandémie a des conséquences économiques et sociales en chaîne, si la crise climatique est devant nous, alors la gauche peut-elle encore jouer à cache-cache avec elle-même ? Il faut évidemment un projet commun parce que ce qui nous sépare ne mérite pas de donner la victoire à Macron ou Le Pen. Il faudra pour le porter et l’incarner une ou un candidat commun : nous devrons choisir la ou le meilleur d’entre nous. En 2022, une troisième absence du second tour de la présidentielle en vingt ans conduirait à l’effacement de tout un camp, celui du progrès humain et écologique.