« La gauche, ce devrait être les égaux, pas les égo »
Quarante ans après l’élection de François Mitterrand, le premier secrétaire du Parti socialiste rêve de réveiller l’espoir. A moins d’un an de l’élection présidentielle, il appelle les écologistes à former sans tarder un bloc social-écolo pour redonner envie aux électeurs de gauche. Entretien.
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Vous célébrez aujourd’hui les quarante ans du 10 mai 1981. Quelle leçon aimeriez-vous retenir de l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand ?
C’est d’abord le souvenir d’une incroyable fête, de l’espoir retrouvé, le sentiment que tout devient possible. J’étais encore collégien et c’était la première fois que je voyais mon quartier – très populaire – klaxonner et descendre dans la rue. Nous ne sommes pas passés de l’ombre à la lumière en un jour, mais la vie a changé avec l’élection de François Mitterrand. Il y a eu la réduction du temps de travail, la cinquième semaine de congés payés, la retraite à 60 ans, l’abolition de la peine de mort… S’il fallait tirer une leçon, c’est que quand la gauche sait s’unir sur l’essentiel, elle modifie l’existence des plus modestes et des classes moyennes. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin », disait François Mitterrand. Une nouvelle génération, notamment d’élus municipaux, est prête à relever le drapeau.
Quarante ans après, le Parti socialiste aspire-t-il toujours à « changer la vie » des Français ?
Bien sûr ! C’est notre vocation d’ouvrir les conditions d’une vie meilleure au plus grand nombre, sans attendre les miettes des « premiers de cordée ». Dans notre pays, les écarts de revenus et de patrimoine s’accroissent sans cesse mais des jeunes font la queue dans des soupes populaires ; de trop nombreux enfants prennent à l’école leur seul repas équilibré de la journée. Le travail n’est pas achevé. Quand 2 millions de jeunes vivent en dessous du seuil de pauvreté, 12 millions de Français vivent dans des passoires énergétiques, 7 millions dans un désert médical, on attend quoi ? Certains pensent peut-être que l’Etat providence est un acquis. Mais qu’ils se méfient. Le gouvernement vient de transmettre à Bruxelles son plan d’économie et ce ne sont pas les Gafam [acronyme formé des noms des géants du numérique Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, NDLR] ou les ultrariches qui vont payer l’addition. Ce sont les retraités et les chômeurs !
A moins d’un an de la prochaine présidentielle, on a rarement semblé si loin d’un nouveau 10-Mai. Comment expliquer que la gauche et les écolos soient en si mauvaise posture dans les sondages ?
La gauche est fragmentée et donne ainsi le sentiment de ne plus vouloir jouer le match. La gauche et les écologistes ont le devoir de se rassembler afin d’atteindre la masse critique pour être présents au second tour. C’est pourquoi je plaide inlassablement, depuis trois ans, pour un contrat de gouvernement. Il ne mettra pas fin à toutes les divergences mais il accordera nos violons sur les grandes mesures du quinquennat dont nous serons comptables devant les Français. Si la gauche ne démontre pas son utilité, elle est condamnée à l’effacement.
C’est donc la division de la gauche qui explique sa faiblesse ?
L’union ne suffit pas pour gagner. Mais elle demeure le préalable. Aucun parti n’est capable d’atteindre seul le second tour. Chaque semaine, nous nous retrouvons dans les mêmes manifestations : les mobilisations pour une autre réforme des retraites, pour le soutien au service public de santé, sur l’égalité femmes-hommes, les marches pour le climat ou contre les discriminations derrière Black Lives Matter… La gauche, ce devrait être les égaux, pas les ego. Si à l’automne nous contractualisons autour d’une offre commune avec une candidature commune, alors tout redevient possible.
Après quatre ans de macronisme, les « gilets jaunes », la crise sanitaire et alors que se profile une crise sociale, comment expliquer le manque d’adhésion au projet de gauche ?
Il y a un paradoxe : nous sommes faibles sur le plan électoral mais d’un point de vue idéologique, la crise actuelle, c’est celle du libéralisme mondialisé. Et les réponses apportées par les Européens valident ce que nous portons. Les pays de l’Union ont été contraints de mettre entre parenthèses l’ultralibéralisme le temps de la crise sanitaire. Ils ont fait appel à l’Etat providence pour éviter une catastrophe monumentale. La levée des brevets sur les vaccins, l’élan de soutien pour les services publics, le chômage partiel… Ce sont des solutions que la gauche portait et qui ont été plébiscitées par l’opinion publique. Les Français ne demandent pas à dépecer l’Etat. Au contraire, ils demandent plus de policiers et de professeurs.
Faut-il en déduire que la gauche est en train de gagner la bataille culturelle ?
La bataille culturelle se mène sur plusieurs fronts simultanément. Il y a un front sur l’identité française aujourd’hui trop dominé par la vision la plus étroite et la plus rance de la nation. Notre vision, celle de « la République jusqu’au bout » est malmenée, alors même que c’est dans la réalisation de la promesse républicaine que nous pouvons retrouver cohésion et identité. Sur le terrain économique et social, les repères sont brouillés. Le risque, c’est de voir une part de l’opinion publique abusée. Le temps de la crise sanitaire, le gouvernement assure leur protection mais il leur fera payer dès le lendemain. L’austérité pour la majorité, l’abondance pour l’ultraminorité.
A la sortie de la réunion du 17 avril, initiée par Yannick Jadot, vous avez annoncé que le PS et EELV allaient défendre une candidature commune à la présidentielle. Mais plusieurs participants vous ont reproché d’aller trop vite…
Autour de la table, il y avait des gens différents. Les socialistes, écologistes, radicaux et de jeunes mouvements comme Place publique ou Nouvelle Donne ont exprimé la volonté de négocier un contrat de gouvernement. D’autres estiment qu’ils n’ont pas vocation à se ranger sous une bannière commune. Jean-Luc Mélenchon l’a confirmé depuis. Il a décidé de faire indépendamment de la gauche, dont il ne sait plus s’il doit s’en réclamer. Notre devoir à nous est d’avancer, sans exclusive, et de présenter à l’automne un projet commun autour de la construction d’une république sociale, écologique et démocratique. L’idéal de justice doit être notre boussole.
Le Parti socialiste a commencé à travailler sur un projet présidentiel. Quelles idées le candidat commun devra, selon vous, défendre ?
Il faut en finir avec le mirage techno-libéral. La révolution numérique, c’est le meilleur et le pire, en même temps. Est-on prêt à accepter cette régression incroyable avec des travailleurs soumis à des algorithmes, sans protection sociale ni congés payés ? On leur fait croire qu’ils sont leurs propres employeurs mais ils sont esclaves du système. Il faut évidemment refuser ce contournement des droits des salariés. Il faut aussi réduire drastiquement les inégalités. C’est Joe Biden qui fait aujourd’hui la leçon en énonçant cette évidence : « La théorie du ruissellement n’a jamais fonctionné nulle part. » On ne peut plus tolérer des écarts de salaires de 1 à 300 entre une caissière et son patron.
Sur le plan démocratique, combien de temps encore accepterons-nous la « jupitérisation » de la vie politique ? Nous sommes otages des paris d’un seul, comme ce fut le cas en janvier lorsque le président a décrété qu’il était aussi épidémiologiste. Nos institutions doivent évoluer. Sur la question écologique, nous proposons un plan de rénovation thermique, financé pour partie par un ISF [impôt sur la fortune] vert, qui permettrait de diminuer les émissions de gaz à effet de serre tout en donnant plus de pouvoir d’achat aux bénéficiaires.
Justement, pour défendre ce projet, le tour des écologistes n’est-il pas venu ?
Il n’y aura ni substitution ni grand remplacement. Demain, cela doit être le tour du bloc social-écolo. Ce serait une aberration de considérer qu’il y aurait désormais une matrice exclusivement écologique. Jaurès, en son temps, fit la synthèse entre l’idéal républicain et la question sociale. Aujourd’hui, ce qu’il nous revient d’opérer, c’est la synthèse entre les questions démocratique, sociale et écologique, qui s’entremêlent étroitement. Social et écologie, fin du mois, fin du monde, ce sont les mêmes victimes et les mêmes prédateurs. Le combat est forcément commun.
Le pôle écolo organise sa primaire interne en septembre, Anne Hidalgo se prépare et ne se décidera qu’à l’automne… Comment trouver le candidat commun ?
Il faut converger sur un processus qui conduira à choisir le ou la meilleure d’entre nous. Personne ne peut imposer la méthode. Des solutions existent. Une primaire à un seul tour comme le propose le collectif 2022 ou Jamais, une primaire classique, une convention citoyenne, un comité de sages, un vote militant… Les solutions existent, il faut maintenant un accord. Quand je vois Anne Hidalgo et Yannick Jadot avancer ensemble alors qu’ils sont des candidats alternatifs, je me dis que la raison finit par l’emporter. Le souvenir du 10 mai 1981 éclaire la route. Quand on réveille l’espoir, quand on entend l’aspiration des Français à « changer la vie », tout est possible. Il y aura d’autres jolis mois de mai !