«Une coalition ce n’est pas un parti unique»

«Une coalition ce n’est pas un parti unique»

Alors que le gouvernement multiplie le recours aux 49.3 sur les textes financiers, j’explique à Libération pourquoi les socialistes ne souhaitent pas multiplier les motions de censure, mais aussi que cela ne fragilise en aucun cas la NUPES.

 

par Lilian Alemagna

La «colère» d’Emmanuel Macron, mercredi soir, dénonçant le «cynisme» et le «désordre» de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), qui a vu la motion de censure qu’elle avait préparée votée par le Rassemblement national, a mis en «colère» Olivier Faure. Le premier secrétaire du PS, en tournée dans le Sud-Ouest ces jours-ci en vue du prochain congrès de son parti, jure que les députés de gauche n’ont «pas cherché à rendre acceptable cette motion par le RN» et confirme que les socialistes ne signeront pas la troisième motion, annoncée ce jeudi par les insoumis.

Mercredi soir, le président a accusé les quatre groupes de gauche à l’Assemblée nationale d’avoir voulu «porter une majorité avec des députés du Rassemblement national». Que lui répondez-vous ?

Il faut beaucoup de cynisme pour énoncer de telles inepties. Je regrette qu’Emmanuel Macron, à force de rencontres avec Donald Trump, soit devenu propagateur de «vérités alternatives», c’est-à-dire de mensonges. Qui peut croire que nous ayons imaginé une seule seconde former une majorité avec l’extrême droite ? Il doit à des millions de Français, comme moi, son élection. Nous avons voté non pas pour le soutenir mais pour éviter la victoire de l’extrême droite. Aux régionales de 2021, en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, nous avons sacrifié nos propres élus pour éviter une triangulaire qui aurait permis à l’extrême droite de l’emporter. Ce sont ses amis qui élisent deux députés RN à la vice-présidence de l’Assemblée, ses ministres qui lient insécurité et immigration, et c’est avec les voix des députés de Marine Le Pen que certains projets de loi ont été adoptés.

Le chef de l’Etat vous a aussi accusé d’avoir «changé», «à dessein», les termes de votre motion pour qu’elle puisse être votée par des députés d’extrême droite…

C’est absolument faux. Et dans quel but ? Même avec les voix du RN la motion n’aurait pas été adoptée. Et LR avait annoncé que, fidèles à leur ligne, ils resteraient l’assurance-vie du gouvernement.

Certains socialistes aussi ont dit que vous aviez modifié de premières versions pour que le texte soit acceptable pour le RN… Nous assurez-vous que ce texte n’a pas été modifié pour le rendre plus présentable ?

Il y a des socialistes qui se sont fait une spécialité des coups bas. Comment peuvent-ils prétendre prendre la direction d’un parti qu’ils discréditent à chaque intervention ? Nous n’avons évidemment pas cherché à rendre acceptable cette motion par le RN. Je le répète : dans quel but ? Ces polémiques servent exclusivement l’extrême droite, qui se délecte, et le gouvernement, qui est trop heureux de cette diversion. Cela évite de rappeler que la motion venait en riposte à un coup de force sur la loi de finances.

Le Président a aussi affirmé qu’il n’y avait «ni aujourd’hui ni demain» de «majorité alternative». Que lui répondez-vous ?

S’il veut dire dans l’Assemblée actuelle, j’en suis bien d’accord. Mais dans ce cas il faut qu’il s’accorde avec lui-même puisqu’il accuse la gauche de s’allier avec l’extrême droite… S’il exprime l’idée qu’il n’y a pas de majorité alternative dans le pays, c’est plus grave. Jusqu’à présent, c’est encore le peuple français qui décide.

Que feront les socialistes sur la troisième motion de censure proposée par le groupe La France insoumise ?

Nous avons une divergence avec les insoumis. Le gouvernement cherche à banaliser le 49.3 pour en faire un instrument de gestion ordinaire. Nous ne voulons pas, parallèlement, banaliser la motion de censure qui doit demeurer un acte solennel qui conserve un écho. Nous souhaitons que la Nupes, tout ensemble, en dépose une sur le projet de loi de finances et sur celui de la Sécurité sociale au moment de la lecture définitive. C’est la raison pour laquelle nous ne signerons pas des motions à répétition à chaque lecture. Le gouvernement en est déjà à trois 49.3 en une semaine, et cela va continuer.

La Nupes va donc se diviser. La majorité et Macron ont donc obtenu ce qu’ils souhaitaient, non ?

Les insoumis seuls vont déposer. Cela signe-t-il la fin de la Nupes ? Bien sûr que non. Chaque groupe a toujours conservé sa liberté d’appréciation. Pour prendre l’exemple de l’entrée dans l’Otan de la Suède et la Finlande, communistes et insoumis avaient voté contre. Socialistes et écologistes pour. Et nous avons continué à travailler ensemble. Une coalition, ce n’est pas un parti unique. Chacun conserve son identité.

A quoi doivent servir les motions de censure ? A renverser le gouvernement Borne ou simplement à faire entendre votre opposition ?

Elles sont la réponse à la violence d’un gouvernement qui ne cherche aucun compromis. Ou, plutôt, qui ne recherche jamais aucun compromis avec la gauche. Après sa dernière interview, plus personne ne peut avoir de doute. Pour mener une politique de droite, Emmanuel Macron cherche une majorité de droite.

Souhaitez-vous des législatives anticipées ?

Je ne cherche rien, mais je ne redoute rien.

Quelle sera la position des députés PS sur les prochains textes de loi, notamment la loi de programmation du ministère de l’Intérieur et l’accélération des énergies renouvelables ?

Comme sur chaque texte, nous ferons des propositions. Si nous sommes entendus, nous voterons pour. Si nous ne le sommes pas mais que le texte va dans le bon sens tout en étant insuffisant, nous nous abstiendrons. Si c’est indigent, contraire à ce que nous portons, nous voterons contre. Je suis favorable à un retour au parlementarisme. Les députés ne sont pas des figurants. Ils apportent dans leur diversité un regard sur le pays et des solutions. Plutôt que d’embaucher à tour de bras des lobbyistes pour l’entourer, le Président serait mieux inspiré d’écouter ce qui remonte du fond de notre pays. La démocratie, ce n’est pas imposer une vision, c’est en partager une après avoir entendu ceux qui souffrent d’injustices.