« J’ai toujours fait ce que j’ai dit »
Olivier Faure : « J’ai toujours fait ce que j’ai dit »
Publié le , Propos recueillis par Farid Zouaoui
Ce qui en fait le “doyen” des représentants seine-et-marnais à l’Assemblée nationale. Il est également Premier secrétaire du Parti socialiste depuis 2018, même si sa récente réélection a été vivement contestée lors du dernier congrès du PS. Lui préfère rester fidèle à sa ligne de conduite de rassembleur. Alors que la réforme des retraites est débattue dans l’Hémicycle jusqu’au 17 février, l’un des partisans la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) ne désarme pas. Il nous livre ses convictions.
Avez-vous vécu le récent psychodrame au Parti socialiste comme un échec personnel ?
Non. Il n’était pas illogique qu’après l’accord de la NUPES, il y ait un moment de catharsis avec un débat animé. Même s’il y a des degrés d’appréciation divers, 80 % des socialistes ont dit qu’ils ne voulaient pas suspendre leur participation à cette union et pour moi, c’est un satisfecit.
L’instauration d’un “pacte de gouvernance” ne vous oblige-t-elle pas à une forme de cohabitation avec vos opposants ?
Ce pacte traduit surtout la volonté de construire une nouvelle majorité avec des gens prêts à essayer de travailler ensemble. Nous avons à faire la démonstration que nous pouvons être à nouveau la force motrice du rassemblement de la gauche. Pas besoin d’être docteur en science politique pour savoir qu’à trois reprises en 20 ans, la gauche a été remplacée par l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle parce qu’elle a été divisée. Soit on veut conjurer ce mauvais sort, soit on sait très bien que ce qui arrivera à la prochaine Présidentielle avec, cette fois, un risque que Marine Le Pen l’emporte.
N’avez-vous pas été déçu de votre score ?
J’ai toujours dit que je serais devant, mais que ce serait serré. Face à moi, il y avait des fédérations puissantes et je savais qu’il y aurait mécaniquement de la déperdition. Je devrais plutôt être surpris d’avoir réalisé un score pareil, malgré des oppositions aussi nombreuses et pas forcément homogènes. Il y a eu une forme d’opportunisme avec deux textes d’orientation qui se sont regroupés au deuxième tour pour obtenir des places.
Les peaux de bananes ne vous font pas peur ?
Depuis que je suis Premier secrétaire, je n’ai pas été épargné et jusqu’ici, je n’ai pas glissé. Les combats de coqs n’intéressent plus personne depuis longtemps. La seule chose qui peut encore passionner les Français, notamment ceux qui s’abstiennent, c’est de savoir s’il y a une possibilité pour la gauche de l’emporter. Si les gens nous voient nous opposer les uns aux autres, ils ne nous feront plus confiance et ils auront raison. La gauche, c’est 30 % tout mouillé. C’est trop peu, mais c’est plus qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen. En revanche, la gauche divisée, c’est l’assurance de voir l’extrême droite au second tour. Il faut donc savoir ce que l’on veut.
De l’extérieur, la NUPES demeure pourtant à un attelage fragile…
C’est un récit inédit en construction. Le fait de retrouver les frères ennemis autour d’une table et de concrétiser un accord électoral, c’était effectivement nouveau et un peu inespéré. On est revenu à un principe de réalité. Il fallait cesser ces querelles que personne ne comprend pour se mettre d’accord sur l’essentiel.
Cette union pourra-t-elle survivre aux élections européennes en 2024 ?
Oui, car avec un scrutin à la proportionnelle intégrale, on peut très bien avoir des listes différentes et travailler ensuite ensemble au Parlement européen. Cela n’enlèvera de sièges à personne. Je souhaite qu’on puisse continuer à débattre des sujets européens pour acter nos convergences et nos divergences. Il n’est jamais inutile de savoir jusqu’où on est capable d’aller ensemble.
Justement, le débat sur la réforme des retraites est un test grandeur nature. Déposer des milliers d’amendements, est-ce une bonne stratégie ?
Le Gouvernement ayant fait le choix de l’article 47.1 (procédure limitant à 50 jours les débats au Parlement, dont 20 à l’Assemblée), l’obstruction est impossible, contrairement à ce qu’on raconte. Tous ces amendements sont finalement symboliques. C’est la première fois que le 47.1 est utilisé pour une réforme des retraites. Ce n’est pas normal, car un tel sujet va conditionner la vie des gens pendant des décennies. C’est le passage en force qui a été privilégié, ce n’est pas sérieux. Avec cet article, il n’y aura même peut-être pas de vote à l’Assemblée et au Sénat, car le Gouvernement pourra procéder par ordonnances. Seule une mobilisation massive de l’opinion peut faire changer la donne.
Comment jugez-vous les dernières concessions du Gouvernement ?
Tant mieux pour ceux pour qui ça va être moins pire, mais ils sont très peu nombreux. En fait, le gouvernement nous dit : “On va vous taper très fort” et puis après “On va vous taper un peu moins fort”. Cela ne fait pas un projet social. L’enjeu de ce débat, comme le disait Ambroise Croizat, qui est à l’origine de notre régime de retraite, c’est que la retraite ne soit pas l’antichambre de la mort, mais un nouvel âge de la vie. C’est un enjeu sociétal. On risque, en effet, de se priver de tous ces gens qui font du bien à la société. Je pense au monde associatif, sportif, culturel et créatif. Ces retraités sont dans cet âge charnière où on s’occupe à la fois de ses petits-enfants et de ses parents qui vivent plus longtemps. Combien de crèches, d’assistantes maternelles, d’aides familiales ou d’auxiliaires de vie faudrait-il mettre en place pour arriver à compenser leur absence ? Dans ma circonscription, entre 25 et 30 % des conseillers municipaux sont à la retraite. Ce sont eux qui font tourner nos collectivités locales. Combien de milliards en plus devrait-on mettre sur la table pour remplacer tous ces bénévoles ? On a là une vision strictement libérale du travail avec le marché qui définit notre utilité sociale, c’est absurde.
Vous défendez le retour de la retraite à 60 ans. Est-ce vraiment réaliste ?
De quoi parle-t-on ? De 12 milliards d’euros par an pendant quelques années sur un budget de 350 milliards. Pour le commun des mortels, 12 milliards, ça paraît énorme, mais à l’échelle du budget de la Sécurité sociale, ce n’est pas grand-chose. La réalité, c’est qu’ils veulent prélever un impôt sur la vie des gens. Si on augmentait les cotisations de 12 euros au niveau du Smic, on comblerait ce trou. On ne peut pas imaginer que ces 12 euros par mois puissent être prélevés pour moitié sur le patron et sur le salarié ? On ne peut pas prendre 12 milliards sur les 80 milliards de dividendes ? La fin de la contribution de la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) représente huit milliards en moins. Ces milliards ne pourraient-ils pas être mis du bon côté de la barrière ? Ce Gouvernement cherche à nous faire payer sa politique économique consistant à diminuer drastiquement les prélèvements obligatoires pour les grandes fortunes, les actionnaires et les grandes entreprises. Quand il y a eu la crise sanitaire et qu’il a fallu mettre 160 milliards sur la table pour venir au secours des entreprises, il a suffi d’une heure au président de la République pour prendre une décision. Mais quand on demande 12 milliards pour les retraites, il n’y a pas d’argent. Les gens se disent alors que quelque chose cloche et ils ressentent de la colère.
Ce débat sur les retraites ne va-t-il pas finalement être tranché dans la rue ?
Pour un Gouvernement, il est toujours difficile de gouverner contre son pays. Il faut qu’il comprenne que les gens sont prêts à faire grève et à se mobiliser, même ceux qui ne l’ont jamais fait. Il est nécessaire de faire une démonstration de force, car il n’y a pas de résignation possible.
Peut-on revivre le scénario de 1995 avec de grandes mobilisations, des grèves et une dissolution de l’Assemblée nationale en 1997 ?
C’est possible. Si le président de la République souhaite dissoudre, nous retournerons devant les électeurs, mais je le mets au défi de faire de cette réforme l’enjeu de nouvelles élections, surtout quand je vois que 94 % des actifs et même les retraités y sont hostiles. En fait, ce sont les deux tiers des Français qui s’y opposent. La menace brandie par le chef de l’État s’adresse surtout à sa propre majorité relative. C’est une façon de dire : “Si vous ne me soutenez pas, je dissous et vous aurez du mal à revenir”.
Vous entamez un troisième mandat consécutif de député. Quelle est votre relation avec la Seine-et-Marne ?
Un lien très fort s’est construit avec les habitants de ma circonscription. Au bout de onze ans bientôt, j’en connais beaucoup et je sais quelle réalité se cache derrière chaque porte. La Seine-et-Marne, c’est ma boussole. C’est là que je me ressource et que je prends la température en rencontrant des gens chaque semaine. C’est primordial.
Comment définissez-vous votre fonction ?
On est le porte-parole d’un territoire et d’idées qu’on défend. On ne peut pas être un bon parlementaire si on n’est pas au contact permanent des gens. Il y a plein de sujets que j’ai détectés par les courriers ou par des rencontres. Une circonscription, c’est le cabinet d’un député où tous les gens viennent vous dire : “Écoutez, on a vu cette mesure. Si vous me l’appliquez, voilà ce que ça va donner”.
Vous considérez-vous comme un député populaire ?
Je suis l’élu d’une circonscription où les classes populaires et moyennes sont dominantes. On est dans un territoire que les géographes et les politologues s’évertuent à considérer comme périphérique et un peu perdu sur le plan électoral. Je ne le pense pas. J’ai défendu des projets très concrets comme la réinstallation d’un hôpital, l’arrivée d’un théâtre ou le pass Navigo à tarif unique, afin que ces habitants ne soient pas considérés comme des citoyens de deuxième classe. C’est la seule façon de maintenir dans la communauté nationale des gens qui pourraient se sentir abandonnés.
Reconquérir cet électorat est indispensable pour que la gauche puisse renouer avec la victoire en 2027 ?
Oui, mais pas seulement. Dans ma circonscription, les habitants sont restés accrochés à la gauche, parce que l’ensemble des maires des communes font la démonstration, mois après mois, de politiques publiques identifiées et comprises comme les tarifs des cantines, les activités périscolaires, l’environnement ou les mobilités douces. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas subi ce décrochage.
Vous avez été réélu deux fois de suite. Quelle est votre recette ?
J’ai toujours fait ce que j’ai dit. En 2017, beaucoup m’ont demandé si je voulais rejoindre la République en Marche, car une vague était annoncée. Mes propres amis voulaient savoir si j’étais prêt à faire ce choix. Je leur ai dit non. Si on ment aux gens sur ses convictions les plus profondes, alors quand nous croiront-ils ? J’ai toujours été loyal à ma famille politique tout en étant capable d’émettre des positions qui étaient dictées par ce que je ressentais et que je croyais juste. Si on m’avait écouté, les Français ne nous reprocheraient pas d’avoir trahi le mandat qu’ils nous avaient confié en 2012. J’ai toujours été de ceux qui sont toujours restés sur la même ligne.
Comment imaginez-vous la suite ?
Il faut toujours se demander si on est plus utile dedans ou dehors. Si j’ai l’impression que je n’ai plus d’utilité, je me retirerai. Sinon, je repartirai. J’espère surtout que la gauche sera en mesure d’offrir une alternative à la droite et à l’extrême droite. Le risque, au bout de dix années de macronisme durant lesquelles la société française aura été mise en tension permanente, toutes les catégories auront été opposées et le modèle social aura été déconstruit, c’est que les Français cherchent tout simplement une alternative comme cela s’est passé dans d’autres pays. Partout, l’extrême droite s’est dédiabolisée et arrive à conquérir le pouvoir par les urnes. Je ne veux pas de cette aventure-là, car on ne sait pas quand cela s’arrête. Il faut réagir tant qu’il en est encore temps. C’est le devoir de la gauche.