Blog-notes N°2 – Du 1er mai et de l’inversion du « Front Républicain »
Pourquoi le 1er mai est un enjeu et le « Front anti-NUPES » un contre-sens républicain ?
Le 1er mai ne sera jamais une date comme les autres. Cette année singulièrement.
Il est un enjeu d’actualité contre la réforme des retraites.
Bien sûr, quand il tombe un lundi, la tentation est grande de le considérer comme l’opportunité d’un simple week-end prolongé. C’est l’espoir du gouvernement, pressé d’en finir avec le mouvement de contestation de sa réforme des retraites.
Ce 1er mai qui a donné si souvent l’occasion de cortèges séparés est cette fois placé sous le signe de l’unité. C’est la première fois depuis 2010 que l’ensemble des syndicats sont rassemblés en intersyndicale. Ce n’est pas anecdotique. La constitution d’un front commun est la meilleure façon de créer un rapport de force face à un gouvernement qui méprise tout ce qui ne se soumet pas à sa volonté. Que le 1er mai expose des cortèges faméliques, alors le pouvoir s’en glorifiera. Que le 1er mai 2023 devienne un jour de mobilisation historique et alors nul ne peut prédire le sort qui sera réservé à cette loi des 64 ans. Personne n’avait anticipé la décision de sagesse de Jacques Chirac sur le CPE.
Le 1er mai est aussi un enjeu constant face à une l’extrême-droite qui cherche à en travestir le sens. Depuis 1988, le Front national de Jean-Marie Le Pen défile, reprenant une vieille tradition de l’extrême-droite française qui a toujours voulu opposer sa contre-manifestation à celle des travailleurs. C’est sous Vichy que le maréchal Pétain décida d’en faire un jour férié pour transformer cette journée internationale des revendications ouvrières en célébration d’une “ Fête du Travail et de la Concorde sociale”, soit imposer l’union des patrons et ouvriers pour masquer la lutte des classes.
Rien de neuf donc ? Ce serait vrai si nous n’assistions depuis quelques mois à une tentative d’inversion de ce qu’est historiquement le Front Républicain.
Sous la plume du directeur de la rédaction du Figaro Magazine on peut ainsi lire cette semaine : « Notre vie publique se dégrade du fait des actions de la gauche radicale. Qui pourra encore dire que le danger pour la démocratie vient du RN ? »
Le projet est aussi explicite lorsqu’un ancien premier ministre de Jacques Chirac – Jean-Pierre Raffarin – ne masque plus son enthousiasme dans un tweet : « Il semble bien qu’un Front républicain anti-nupes est en cours de constitution. »
Personne n’est obligé d’apprécier toutes les expressions de la gauche radicale. Je n’approuve pas les manifestants qui brûlent des mannequins à l’image du président, tout comme j’ai regretté l’épisode aussi blessant qu’inutile du ballon à l’effigie du triste ministre du travail. Mais monter en épingle des comportements isolés pour mieux jeter un écran de fumée sur la violence du projet de réforme des retraites, ou sur la doctrine actuelle de maintien de l’ordre est grossier. La multiplication des arrêtés préfectoraux interdisant les manifestations d’opposition au projet présidentiel est un danger bien plus réel pour nos libertés publiques.
Chercher à diaboliser une partie de la gauche pour mieux dédiaboliser l’extrême-droite est une pente dangereuse qui ne peut mener qu’à la légitimation de cette dernière.
Cette inversion du Front républicain n’est pas le fait d’individus isolé. Elle est une stratégie posée par le pouvoir. Gérald Darmanin en est la manifestation la plus aboutie. Sa croisade contre le « terrorisme intellectuel d’extrême gauche » a pour objet d’unifier les électorats de droite et d’extrême-droite. La formule ne vise pas exclusivement les Insoumis. Les écologistes sont des « éco-terroristes ». Et par contagion tous ceux qui participent à la coalition de la « NUPES » sont radioactifs.
Cette séquence est lourde de sens. Elle concerne l’évolution interne du macronisme et ses effets sur l’avenir politique de notre pays.
Où a commencé le macronisme ? On se souvient de la visite estivale d’Emmanuel Macron au Puy du Fou, en 2016, au côté de Philippe de Villiers, puis de sa démission et de sa déclaration de candidature présidentielle dans la foulée. À peine entonnée, la fable du « en même temps de droite et de gauche », avait du plomb dans l’aile. Il n’a pas fallu longtemps pour constater que l’ambition macroniste avait toujours été de réunir le centre et la droite, François Bayrou et Édouard Philippe. Ce faisant, la séquence ouverte en 2017 a opéré une grande clarification. La droite et le centre-droit se sont rassemblés et constituent aujourd’hui le pôle politique minoritaire mais central.
Parallèlement – clarification en retour – toute la gauche s’est unie dans la Nupes. Le ré-ancrage du Parti Socialiste au sein de la gauche, entamé dès son Congrès d’Aubervilliers en 2018, a enrayé toute déviation techno-libérale. La NUPES a permis l’élection de 151 députés, même si elle n’a pas obtenu la victoire.
Enfin, le résultat de Marine le Pen l’a montré, l’extrême-droite est plus que jamais, en ordre de bataille. Après cinquante années de bipolarisation, la vie politique française est à nouveau divisée en trois blocs.
Je dis « à nouveau » car ce fut souvent le cas. Sous la IIIeme République, le parti radical a longtemps joué le rôle de bloc central entre les socialistes et la réaction. Mais, précisément, sous la IIIe République, le grand honneur des éléments qui composaient ce bloc central fût de ne jamais céder à l’argumentaire de la réaction antirépublicaine. À l’exception du régime de Vichy, jamais des éléments du bloc central ne s’allièrent avec l’extrême-droite pour diriger le pays.
Si le bloc central put résister à une telle alliance, c’est grâce au socialisme. Du boulangisme au mois de Février 1934, en passant par l’Affaire Dreyfus, chaque fois le socialisme vola au secours du bloc central trop faible pour s’opposer au tiers-parti réactionnaire avec lequel certaines de ses fractions souhaitaient s’allier. C’est à l’occasion de la première de ces crises du tripartisme – l’Affaire Boulanger – que la pratique de « Front Républicain », qui n’en n’avait pas encore le nom, fut inventée, lorsque les candidatures socialistes du Parti possibiliste conduit par Jean Allemane et Paul Brousse furent retirées pour limiter les victoires boulangistes sur les républicains.
Il y là une constante, une quasi-loi de l’histoire républicaine de la France. Chaque fois, la gauche a permis d’éviter l’effondrement républicain. Chaque fois, la gauche tranche entre le pire et le moindre mal et prend, elle, « ses responsabilités », contrairement à d’autres qui ont pourtant toujours l’expression à la bouche. Nous avons connu ça au second tour des présidentielles de 2017 et de 2022.
Là où, en revanche, il n’y a pas de loi historique, c’est dans ce que le bloc central fait de cette bouée de sauvetage. Parfois, il s’en considère vraiment l’obligé. Au plus fort de l’Affaire Dreyfus, quand les idées de coup d’État commencent à germer dans les têtes des nationalistes, le gouvernement Waldeck-Rousseau de « défense républicaine », constitué grâce au soutien des socialistes, se tourne vers la gauche. Il ouvre alors une période de progrès des libertés politiques, et de progrès sociaux, qui prendra fin en 1906 avec un bilan immortel : réhabilitation de Dreyfus, loi sur les associations de 1901, modernisation de l’enseignement, loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, baisse de la durée journalière et hebdomadaire du travail…
En revanche qu’a compris Emmanuel Macron de sa victoire grâce au front Républicain, et de l’obtention d’une simple majorité relative ? Rien. Pire, il présente sa réélection comme une adhésion à son projet. Il approfondit sa politique et achève de dégoûter les électeurs de gauche lassés de voler à son secours. Ce faisant, il aggrave l’affaiblissement de son propre bloc.
Dans une fuite en avant qui tourne le dos à l’histoire du progressisme, la Macronie cherche à cimenter une nouvelle base électorale dans la disqualification de la gauche.
Ce sera donc tout le monde contre la NUPES. Le risque de rupture dans notre histoire républicaine est là. De la diabolisation de LFI aux amabilités pour Marine Le Pen, de l’élection de vice-présidents RN à l’Assemblée à la dénonciation d’un « terrorisme intellectuel d’extrême-gauche », en passant par les déclarations sur la fraude sociale attribuée aux originaires du Maghreb, tous ces points forment une même ligne.
Ce nouveau Front n’a pourtant absolument rien de républicain. La raison d’être du Front Républicain, inventé par les socialistes et pratiqué, sans faiblesse depuis, a toujours été d’empêcher l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir. Le nouveau Front qui s’annonce ajoute la tromperie au déshonneur. S’il veut se doter d’une épithète, il en est une toute trouvée. Front républicain ? Surement pas. Mais il conduit tout droit au Front National.