Blog-notes N°3 – Au crépuscule de la Ve République
Tout se passe entre le 13 mai et le 1er juin… 1958.
Tout commence par deux complots. Un premier qui ne se cache pas, ourdi par les gaullistes. Un second par des activistes de l’Algérie Française. Les premiers rêvent de réinstaller De Gaulle au pouvoir et les seconds imaginent un coup d’État pour installer un pouvoir déterminé à maintenir l’Empire.
Le 13 mai, les insurgés, encouragés par les généraux Massu et Salan, prennent d’assaut le palais du Gouvernement Général à Alger et installent un Comité de Salut Public. Le 15 mai, la jonction est faite. Le général Salan du haut du balcon du Forum fait face à 6000 algérois et lance un sonore « Vive de Gaulle » en conclusion de son discours. Quelques heures plus tard, le général de Gaulle répond de son bureau, sis rue de Solférino : « Je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Les jours qui suivent se déroulent dans la plus grande confusion. Pierre Pflimlin, le président du Conseil investi, n’a plus que l’apparence du pouvoir et la menace plane : depuis Alger se prépare le plan « résurrection », plan d’invasion de la France métropolitaine. Le 24 mai, la Corse rejoint l’insurrection. Le 31, au terme d’ultimes transactions, la IVe République se saborde et ses dirigeants acceptent de proposer au général De Gaulle les pleins pouvoirs pour six mois et les pouvoirs constituants. Le 1er juin, l’Assemblée accorde la confiance au général. La IVe République est morte. La Ve est née d’un coup de force militaire.
65 ans que nous vivons avec ces institutions dont on a vanté la solidité et la capacité à traverser les crises. Pourtant la critique de la Ve République est aujourd’hui en passe de faire l’unanimité. Désormais, même les commentateurs les plus modérés de la vie politique admettent à mots couverts que la crise de régime est proche, et que les temps appellent de nouvelles institutions. Voilà qui aurait réjoui Pierre Mendès France qui dès 1958 fut, de tous ses opposants, le combattant plus acharné des institutions de la Ve République. Lui qui avait pratiqué le pouvoir sous la IVe – et qui en avait senti toutes les limites – s’est pourtant toujours refusé à l’incriminer et à légitimer la profonde rupture dans l’histoire républicaine qu’a été la Constitution arrachée par le quasi Coup d’État de 1958. Il faudra un jour regarder en détails ce qui a fragilisé le IVe République et qui a sans doute bien plus à voir avec des questions géopolitiques (l’opposition communiste au régime) ou politicienne (l’opposition gaullienne au régime) qu’à ses défauts institutionnels propres.
Quoi qu’il en soit, le passage à la Ve République reste riche d’enseignements. De Gaulle en 1946, avait totalement échoué à convaincre les Français de rallier sa conception des institutions. En 1958, les évènements lui ont permis de l’imposer. Les institutions de la Ve n’étaient peut-être pas bonnes en soi – c’était l’avis de Mendès – mais elles ont fait la preuve qu’elles étaient adaptées à la gestion de la grande crise d’alors : la sortie de la guerre d’Algérie.
Autrement dit, c’est la situation de blocage politique, et la gravité des périls politiques qui ont permis à de Gaulle de s’imposer en 1958 et d’en finir avec la IVe. Aujourd’hui, c’est la Ve République qui est bloquée et c’est maintenant que se repose la question de nos institutions.
Depuis la Révolution française, les Républicains ont eu pour obsession de faire reculer l’arbitraire, de fuir le pouvoir personnel et de refuser de servir la gloire du prince. La souveraineté devait être exercée par le peuple, au moyen de ses représentants, et l’exécutif devait se limiter à n’être qu’un exécutant. La Ve a marqué une rupture nette dans cette tradition en passant d’une République parlementaire à une République exécutive, tournant ainsi le dos aux principes fondateurs portés par les premiers républicains.
Et l’éloignement de notre tradition républicaine s’est accentué. En 1962, lorsque de Gaulle exigea une réforme constitutionnelle ouvrant la voie à l’élection du président de la République au suffrage universel direct, certains des parlementaires qui avaient accepté la constitution de 1958 crièrent à la forfaiture. Le gouvernement Pompidou fut alors renversé par une alliance bien plus large que la seule opposition coalisée. Avant le vote de la motion de censure, Paul Reynaud, qui avait pourtant été le parrain de De Gaulle en politique, s’exclamait : « Monsieur le Premier ministre, allez dire à l’Élysée que notre admiration pour le passé reste intacte mais que cette Assemblée n’est pas assez dégénérée pour renier la République. »
Les successeurs du général de Gaulle n’ont fait qu‘accentuer le trait avec l’adoption du quinquennat, l’alignement du calendrier législatif sur le calendrier électoral présidentiel, et même l’instauration de primaires. La vie politique Française tourne autour de la seule élection présidentielle et la recherche de l’homme providentiel. A la personnalisation excessive, s’ajoute une concentration du pouvoir sans autre équivalent dans le monde. Le président est constitutionnellement irresponsable mais il dispose du droit de dissolution de l’Assemblée nationale. Il nomme aux principales fonctions de l’État. Le Premier ministre est devenu progressivement un premier collaborateur…
Depuis six ans, le président Macron a porté le système à son paroxysme. La séquence que nous venons de vivre sur les retraites a été un concentré de ces abus. Tous les pouvoirs de contrainte ont été utilisés : limitation du temps du débat en utilisant les règles qui ne servent normalement que pour les budgets, vote bloqué, adoption sans vote, et désormais c’est l’article 40 qui est avancé pour bloquer la proposition de loi d’abrogation de la réforme présentée le 8 juin prochain.
Emmanuel Macron n’a intériorisé aucun contre-pouvoir. Il s’en tient à un légalisme froid, ne se croit l’obligé de rien, ni de personne, et ne voit aucun problème à gouverner contre les syndicats, contre l’opinion et contre la majorité de l’Assemblée nationale.
On est là très loin de la pratique des institutions par De Gaulle. Car s’il renforça l’exécutif, le général avait aussi su donner l’exemple de contre-pouvoirs non écrits. Personne n’a oublié qu’après avoir provoqué le référendum de 1969, ayant échoué à rallier les Français à sa position, il s’estima illégitime à occuper sa fonction et démissionna de son propre chef.
Le président s’est engagé à 100 jours d’apaisement avec un nouveau tour de France pour tenter une nouvelle diversion. A la vérité, la seule chose à laquelle il parvient, c’est à faire douter le peuple Français de la réalité de notre démocratie, et à renvoyer une poignée à la violence « puisque voter ne sert à rien ».
Les commentateurs professionnels s’interrogent : Comment Emmanuel Macron s’en sortira-t-il ? Comment tournera-t-il la page ? Où va ce quinquennat ? Mais la question est mal posée. Le sujet n’est ni le président, ni le quinquennat, c’est notre régime. Le soleil de la Ve décline. Née d’une crise au cœur d’une guerre, elle n’est plus adaptée aux nécessités démocratiques. C’est l’heure du crépuscule. Il faut maintenant utiliser la nuit pour qu’à l’aube apparaisse une nouvelle République parlementaire et collaborative. C’est ainsi que nous pourrons donner une légitimité aux grandes transitions que la période appelle.
Pour aller plus loin : mon interview au journal l’Express