Blog-notes N°8 – Retrouver la République
Un mois que Nahel est mort. Le président de la République n’a pourtant pas eu un seul mot pour exprimer sa compassion pour cet adolescent de 17 ans lors de son interview télévisée. Le triptyque républicain « Liberté, Egalité, Fraternité » a été, l’espace d’un entretien, remplacé par la nouvelle devise présidentielle « l’ordre, l’ordre, l’ordre ». Plus que jamais je fais mienne cette citation d’Albert Camus, « Ce n’est pas l’ordre qui renforce la justice, c’est la justice qui donne sa certitude à l’ordre ».
Après Nahel il y a eu Mohamed, vraisemblablement décédé suite à un tir dans le thorax, et puis Hedi, victime d’un tir de LBD à la tempe, puis passé à tabac et laissé pour mort sur la voie publique dans la nuit du 1er au 2 juillet. Quatre policiers de la BAC sont soupçonnés d’avoir procédé à ce lynchage. L’un d’entre eux a été placé en détention provisoire qui – rappelons-le – n’est possible que pour des délits passibles de plus de trois ans de prison ou des crimes. La détention provisoire n’est pas une mesure arbitraire. Elle est prise par le juge de la détention et des libertés pour protéger l’instruction contre les destructions de preuves, les pressions sur témoins ou victimes et éviter toute concertation frauduleuse avec d’éventuels complices pour s’accorder sur une version falsifiée des évènements.
Les policiers agissent au nom de la loi. Ils ne peuvent être l’exception à la loi.
Il est indéniable que la mission de maintien de la tranquillité publique est tout sauf simple et que les policiers font parfois face à une violence inouïe. La police républicaine mérite considération et respect. Elle mérite que lui soient accordés les moyens humains et matériels comme les formations indispensables dont sont privés ses agents. Cela ne la place pas pour autant au-dessus des lois.
Personne n’est au-dessus des lois. La police ne procède pas d’elle-même. Elle est au service de la République. Et si l’émotion est forte lorsqu’il y a soupçon de violences policières, c’est précisément parce que les policiers n’agissent qu’au nom de la loi. Il ne peut donc pas y avoir d’exception policière.
C’est la raison pour laquelle les prises de position des plus hautes autorités de la police, son directeur général et le préfet de police de Paris, sont gravissimes. Elles sont inédites et contredisent tous les principes d’une police démocratique : séparation des pouvoirs, indépendance de la justice, égalité des citoyens devant la loi. Ce sont les fondements de l’État de droit qui sont ici contestés.
Le silence coupable de l’exécutif
C’est la raison pour laquelle le silence du ministre de l’Intérieur et l’esquive du président de la République qui se refuse à commenter les paroles de ses subordonnés sont un grave manquement à l’autorité de l’État. Où est l’autorité quand les comportements séditieux ne sont pas sanctionnés ? En 1983 François Mitterrand n’avait pas tremblé. Il avait instantanément rétabli la confiance dans nos institutions en rappelant chacun à la règle et aux principes qui nous gouvernent.
La rumeur publique suggère que le ministre de l’Intérieur était parfaitement informé des déclarations du DGPN et qu’il les a approuvées. Si tel est le cas, il doit immédiatement démissionner. Qui peut imaginer un Ministre qui s’assied sur tous les principes élémentaires qui forment les soubassements de notre République ?
Un pouvoir faible
Que révèle cette séquence ? Celle d’un pouvoir faible. Faible parce qu’il mène une politique minoritaire et qu’il se pense si peu soutenu par les Français qu’il a besoin du bouclier policier pour avancer. C’est un fait que depuis 5 ans, la police est progressivement transformée en garde prétorienne.
C’est toute la doctrine de maintien de l’ordre qui doit être révisée. Il faut passer d’une doctrine d’attaque à une doctrine de désescalade comme chez nos voisins européens. Mal utilisée, la police devient une cible. Après 2015, les Français applaudissaient les forces de sécurité, les pompiers, celles et ceux qui sont mobilisés pour assurer au quotidien une mission aussi périlleuse que vitale. Renaud chantait « j’ai embrassé un flic ». Huit ans plus tard, les choix politiques en matière de sécurité publique ont ruiné la confiance d’une part croissante de la population. Elle est vécue comme le rempart ultime du pouvoir, voire comme un facteur de risque par une partie de nos concitoyens. La méthode devait renforcer l’autorité, elle n’a dans les faits, contribué, à force de nasses, de grenades lacrymogènes et de désencerclement, de LBD, de mutilations et de plaquage ventral, de contrôles d’identité dénués de fondement, qu’à provoquer un divorce là où il fallait au contraire viser la réconciliation.
Le pouvoir faible est si faible qu’il ne peut réagir. Il ne trouve rien à réprouver quand le syndicat d’extrême-droite Alliance affiche sa sédition par voie de communiqué de presse. Voilà un syndicat qui annonce être en « guerre » contre une partie de la population qu’il qualifie de « nuisible », qui se déclare en « résistance » face au Gouvernement, et Gérald Darmanin, ministre de tutelle de la police, a trouvé pour seule réponse qu’il ne vise pas les communiqués de presse des syndicats… Une menace aussi explicite de sédition à l’endroit du pouvoir politique aurait dû conduire à des mises au point disciplinaires.
Non, nous ne sommes pas en « guerre »
Les termes devraient pourtant alerter. Nous ne sommes pas en « guerre ». Que signifie cette rhétorique ? La guerre c’est le domaine de la mise à mort légitime. Un militaire a le droit de tirer sur l’ennemi, même lorsqu’il n’est pas en état de légitime défense. Pas les policiers. Au contraire, ils sont précisément là pour que cette limite ne soit franchie qu’en cas d’ultime nécessité. Toute l’action policière, qui la distingue de l’action militaire, se situe précisément en deçà de cette ligne de la mise à mort. Les policiers sont nos gardiens de la Paix.
Ce lien dégradé entre la police et une partie de la population française doit être traité. Il est le fait de provocations réciproques et, progressivement, c’est une mémoire partagée de défiance qui s’est imposée dans une partie de nos quartiers. Les moyens d’action de la police ne sont plus interrogés. La logique répressive s’est substituée à toute autre. La confrontation est devenue la règle et la désescalade l’exception.
Loi de 2017 :
l’honneur de la politique c’est de savoir corriger chaque fois que nécessaire
La mort de Nahel a remis au premier plan la loi de février 2017. A la suite de l’agression en 2016 de quatre policiers à coups de cocktails Molotov dans l’Essonne et face à la colère des forces de sécurité intérieure, une nouvelle loi est adoptée. Jusqu’alors, les policiers étaient soumis au principe classique de légitime défense, tandis que les gendarmes disposaient d’un régime plus souple justifié par leur statut militaire ; la loi de 2017 a aligné les règles d’utilisation des armes à feu des policiers sur celles des gendarmes. En synthèse, elle autorise à tirer sur des véhicules en mouvement pour les empêcher de s’enfuir, lorsque le comportement du conducteur peut légitimement laisser croire qu’il cause des risques pour la vie de l’agent ou d’autrui. S’il est exact que le policier auteur de l’homicide à Nanterre a été mis en examen, il est tout aussi vrai que sans vidéo, la version policière aurait disculpé le tireur.
La loi de 2017 a suscité de nombreuses critiques dès sa genèse. Dans son avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) alertait sur le risque que certaines dispositions « ne conduisent à l’utilisation des armes à feu dans des situations relativement fréquentes de courses-poursuites en zone urbaine, les fonctionnaires de police en venant à considérer que le véhicule pourchassé crée, par la dangerosité de sa conduite, un risque pour l’intégrité des autres usagers de la route et des passants ».
La difficulté d’interprétation de cette règle de droit, en situation de stress et dans un délai très court, a également été soulignée à maintes reprises.
Pour le Gouvernement, elle était un élément d’un dispositif équilibré. Notamment, la poursuite de véhicules avait été proscrite par une note de la Préfecture de police du 3 mars 2015, avant que le préfet Lallement ne décide, en 2020, de revenir dessus.
Empiriquement des travaux de recherche indépendants font un constat. Les tirs policiers mortels sur les occupants de véhicules en mouvement sont plus fréquents depuis la loi de février 2017. En 2022, 13 personnes sont décédées à l’occasion d’un refus d’obtempérer. Ce nombre a été multiplié par 5 depuis 2017 alors que le nombre de refus graves d’obtempérer (mesuré par les policiers eux-mêmes) n’a été multiplié que par 1,35.
Contrairement à ce que j’ai pu lire, les socialistes n’ont aucun tabou sur le sujet. L’honneur de la politique c’est de corriger chaque fois que nécessaire. La loi doit impérativement faire l’objet d’une évaluation, raison pour laquelle Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée, a saisi le président de la commission des lois aux fins de désigner deux rapporteurs afin d’évaluer la loi mais aussi les consignes données par le pouvoir quant à sa mise en œuvre. La circulaire du DGPN du 1er mars 2017 a donné une interprétation très lâche de la loi : « l’absolue nécessité s’apprécie in concreto, en fonction des circonstances de fait et de la conviction honnête que le policier a pu se forger en fonction des informations dont il disposait au moment du tir quand bien même cette conviction se révèlerait erronée par la suite ».
A minima et dans l’urgence, les textes réglementaires, circulaires et notes d’application de la loi de 2017 doivent être révisés et adopter une optique restrictive. Les cycles de formation initiale et continue des policiers doivent être intégralement revus, la nature des armes en dotation et les règles d’engagement remises à plat.
Le problème tient aussi à des considérations techniques : manque d’entraînement initial (un an en France contre trois ans en Allemagne) et de formation continue (trois séances de tir par an… en théorie), disproportion entre les armes en dotation et la capacité à en user sereinement (le policier tireur du Pont Neuf en juin 2022 disposait à 24 ans d’un fusil d’assaut HK G36, pouvant tirer jusqu’à 750 coups par minute après 2 jours de formation).
La police ne peut plus contrôler la police
La mise en place d’une autorité administrative indépendante qui contrôle l’action quotidienne des forces de sécurité intérieure, qui formule des avis contraignants sur les méthodes et habitudes professionnelles est devenue un impératif.
Il n’est pas davantage possible de laisser le doute se maintenir autour des décisions de l’IGPN. La police ne peut plus contrôler la police.
Une police républicaine que rien n’entache
Enfin nier qu’il existe du racisme dans la police est une aberration. Généraliser en expliquant que toute la police est raciste l’est tout autant. Le racisme s’est infiltré dans tous les pores de notre société. C’est inadmissible partout mais chacun comprendra le caractère particulièrement inadmissible quand il s’agit de la police qui dispose du monopole de la violence sinon légitime, tout au moins légale. Sept Français sur dix pensent qu’il y a du racisme dans la police. Combien de Michel Zecler faudra-t-il encore pour sortir du déni et, de ce fait, de l’inaction ?
L’apaisement ne se décrète pas. Après 2005, rien n’a changé en profondeur. Chacun sait la difficulté du métier de policier. Ils ont le droit à notre reconnaissance. Mais nous avons besoin d’une police républicaine que rien n’entache. Ne la laissons pas s’abîmer sous la pression de ses éléments les plus radicaux.
Pour finir le retour à la paix civile durable ne peut reposer sur une réponse purement sécuritaire. Il n’y a pas besoin d’être d’extrême-gauche pour comprendre que le décrochage de certains territoires est le terreau le plus fertile de la délinquance.
L’enjeu en amont est celui des politiques de peuplement qui conduisent à toujours concentrer des populations plus pauvres dans ces quartiers (l’Etat y prend largement sa part avec les bénéficiaires du Droit Au Logement Opposable) que celles qui n’en partent.
Dire que nos banlieues sont privilégiées est un mensonge
Il faut en finir avec les mensonges répétés sur le privilège dont bénéficieraient nos banlieues sur lesquelles pleuvraient les milliards de l’État. Il n’existe pas de discrimination positive en faveur des quartier périphériques. Les moyens adressés par la « politique de la ville » ne compensent pas les inégalités de droit commun et le sous-investissement public à destination des quartiers pauvres. Les quartiers prioritaires ne sont pas mieux lotis, l’insuffisance des services publics « de droit commun » est toujours une réalité́.
Voilà ce qu’à mon sens la gauche et les écologistes doivent défendre ensemble : l’ordre juste et pas juste l’ordre.
Nupes : une coalition ne fonctionne jamais au canon
Notre coalition née il y a un an doit se mettre à la hauteur des attentes de nos concitoyens. C’est ainsi qu’elle peut incarner l’alternative au pouvoir actuel tout autant qu’à une extrême-droite menaçante et chaque jour, plus sûre d’elle-même.
Les papiers se succèdent dans la presse sur les drames qui agiteraient la Nupes. Chacun doit s’habituer à ce qu’une coalition ne fonctionne pas au canon. Dans l’opposition, elle a pour devoir de roder son discours et de trouver son centre de gravité. Chaque formation qui la compose a le devoir de maintenir la cohérence de l’ensemble.
La question des européennes taraude les esprits. Sur le fond parce que c’est le sujet qui a le plus divisé lors de la négociation de l’an passé et que l’histoire de nos fractures plonge ses racines dans notre rapport à l’Union européenne. Sur le plan électoral car c’est un fait, deux choix avec leurs avantages et leurs inconvénients existent. Soit la liste commune avec l’espoir de devancer les autres listes mais avec le risque sensible de perdre entre 9 et 10 points selon les sondages. Soit des listes séparées qui additionnées font plus que droites et extrême-droite et permettent d’aller chercher davantage de sièges pour peser dans la future assemblée européenne mais avec le risque symbolique de scores illisibles car divisés en quatre.
Communistes et écologistes ont déjà annoncé leur choix. Je ne crois pas que la pression continue soit de nature à inverser leurs décisions. Au contraire. Les socialistes voteront, pour leur part, fin septembre et dans l’intervalle nous continuerons à échanger avec chacun.
Si j’ai évoqué, sur France Inter, l’exemple positif de nos camarades espagnols, c’est pour tenter de sortir du marasme dans lequel nous nous enfonçons tous seuls. Lorsque le scrutin est à la proportionnelle comme pour les européennes ou les législatives espagnoles, la question du passage au second tour ne se pose pas et, sur la base de leurs scores respectifs, les alliés se retrouvent au soir des résultats. Je ne vois aucun intérêt à dramatiser et à laisser penser que la coalition de la gauche et des écologistes serait menacée par une élection pour laquelle les listes ont toujours été séparées. Toutes les formations qui gouvernent en coalition en Europe partent néanmoins séparées aux européennes.
J’invite chacun à venir renforcer l’union
Plus largement je veux répéter ce que j’ai déjà écrit. La coalition de la NUPES a été une étape imparfaite mais fondatrice. J’invite chacun à venir renforcer l’union si longtemps attendue et tellement attaquée. Si les droites et l’extrême-droite cherchent avec tant de force à la disqualifier, c’est qu’elle reconnaît sa force.
Mais restons lucides, si la coalition a incontestablement réveillé un espoir en juin, elle n’a pas triomphé. Nos partis doivent s’ouvrir aux représentants de la société civile, à tous ceux qui s’engagent. Ensemble, le travail nous attend pour bâtir un contrat de coalition qui nous lie lors de la prochaine législature. Je renouvelle ma proposition d’ouvrir un espace de dialogue, une agora où tous les points de vue de la gauche sociale et politique pourront se jauger, se mesurer et apprécier la manière de converger sur l’essentiel.
Ce travail nous pouvons l’entamer dès à présent. Constituons des ateliers thématiques, allons ensemble à la rencontre des Français comme nous l’avons fait lors du débat sur les retraites. Nous avons tout à gagner à maintenir le dialogue avec les Français.
Et l’incarnation présidentielle ? Je sais que cette question est obsessionnelle pour certains. Certes, elle n’est pas indifférente mais elle ne peut venir qu’après l’édification du projet. Il s’agira alors de juger qui est le plus à même de le porter à la victoire.
Si nous voulons sortir des réflexes identitaires qui minent et fracturent la société, c’est une offre politique qu’il faut reconstruire en développant un imaginaire et un récit communs.
L’invincible espoir
Nous ne le ferons pas seuls. Nous ne ferons plus rien seuls. Ce qui s’est joué dans ces derniers mois et même jours c’est aussi notre rapport à la démocratie. Le président de la République a poussé jusqu’à l’incandescence la logique de la Vème République. Il l’a rendue indésirable aux millions de Français qui ont découvert qu’un président peut gouverner contre son propre peuple alors qu’il n’a de majorité nulle part. Chacun peut frémir en anticipant ce à quoi cela pourrait conduire si l’extrême-droite s’emparait du pouvoir…
Mais ce n’est pas la peur qui doit guider nos pas, c’est cet invincible espoir, celui de la République jusqu’au bout. Sociale, écologique, féministe et démocratique. Voilà notre horizon ! Il ne peut reculer plus longtemps.
Adelante !