«Le problème, c’est la méthode Mélenchon»
par Lilian Alemagna
La gauche va-t-elle exploser sur le conflit israélo-palestinien ?
Franchement, les questions qui traversent la gauche sont dérisoires par rapport à ce qu’il se passe en ce moment au Proche-Orient. Je trouve dramatique que, dans un moment comme celui-là, on parle de l’avenir de la gauche alors que nous devrions parler de l’avenir d’une région et du monde. Les prises de position de La France insoumise et de Jean-Luc Mélenchon – je le déplore – ont obscurci ce que doit porter la gauche dans ce moment : un message de solidarité avec le peuple israélien victime d’une attaque terroriste d’une ampleur et d’une nature inédite. Il s’agit d’un pogrom et plus seulement d’une attaque sur des cibles militaires comme pour la guerre de Kippour. Des femmes, des hommes, des enfants ont été massacrés du seul fait qu’ils étaient juifs. Le second message, c’est d’ouvrir une perspective de paix durable à un moment où la riposte de Benyamin Nétanyahou s’apparente à une vengeance aveugle dont la population civile palestinienne va être la première victime. Voilà ce que devraient porter la gauche et la France pour être à la hauteur.
Emmanuel Macron n’est donc pas à la hauteur selon vous…
Depuis six ans la France a renoncé à porter une parole originale. Aujourd’hui le Président marque sa solidarité avec le peuple israélien. Très bien. Mais la vocation de la France c’est d’initier un chemin pour la paix. [La présidente de l’Assemblée nationale] Yaël Braun-Pivet, mardi, a parlé de soutien «inconditionnel» à l’Etat d’Israël. Non. Il faut défendre évidemment le droit à la sécurité d’Israël, le soutien imprescriptible aux démocraties victimes du terrorisme, mais dans les limites du droit international. On ne peut pas donner un chèque en blanc à un gouvernement tenu par les suprémacistes religieux et par l’extrême droite. La riposte est légitime, la vengeance aveugle ne l’est pas. C’est le piège tendu par le Hamas. La solidarité n’empêche pas la lucidité.
Les insoumis ont quelque peu amendé leur position sur le sujet depuis samedi, cela vous rassure ?
Il est inacceptable que la direction de La France Insoumise n’arrive pas à prononcer que le Hamas est une organisation terroriste. Ils en font une armée régulière qui commettrait des crimes de guerre. Non ! On ne peut pas légitimer des individus qui se sont arrogé la cause palestinienne avec des méthodes barbares et en réalité la desservent. Il s’agit d’une organisation islamiste qui ne veut ni la paix ni la coexistence avec Israël. L’objectif final du Hamas reste le départ des juifs de la terre d’Israël. Dans sa charte, le Hamas parle des juifs comme «des singes et des porcs». C’est une faute politique et morale que de leur accorder la moindre parcelle de légitimité.
Du coup, pourriez-vous gouverner avec une force politique qui a du mal à qualifier le Hamas de «terroriste» ?
Il y a un désaccord majeur. Des sujets avaient été mis de côté au moment de l’accord législatif parce que nous étions dans une situation où, même en cas de victoire, nous aurions cohabité. Jean-Luc Mélenchon avait donc dit dès le départ qu’il respecterait les prérogatives présidentielles en matière européenne et internationale. Nous ne pourrons gouverner ensemble qu’à condition de sortir de ces désaccords fondamentaux.
Anne Hidalgo vous demande de mettre fin à cette «mésalliance» avec Mélenchon, votre opposition interne souhaite un vote samedi en conseil national sur l’union avec LFI… Le PS va-t-il quitter la Nupes ?
Résumer un conflit de cette importance à une affaire interne au Parti socialiste a quelque chose d’indécent. Le ton employé et la nature des propos ne sont pas au niveau d’une maire de Paris. Si Anne Hidalgo n’avait pas fait 1,7 % à la présidentielle, le rapport de force des négociations qui ont abouti à l’accord de la Nupes aurait été bien différent…
Vous ne répondez pas : le PS va-t-il ou peut-il quitter la Nupes sur cet épisode ?
Il y aura des conséquences lourdes à cet épisode. Mais le problème ce n’est pas la Nupes, qui est le nom du rassemblement de la gauche et des écologistes inédit depuis 1997. Le problème, c’est la méthode Mélenchon : ne jamais chercher le centre de gravité du rassemblement de la gauche, toujours radicaliser les positions sans consulter ni respecter ses partenaires. Depuis un an les interventions se sont multipliées, de la réforme des retraites, à la réponse aux violences urbaines, elles ont miné la confiance. Cette méthode doit changer ou tout ce qui a été construit en 2022 se dissoudra. Il faut se poser la question d’un fonctionnement démocratique de la coalition.
Y a-t-il un problème de «méthode Mélenchon» ou un «problème Mélenchon» tout court ?
Je ne place pas les choses sur un plan personnel mais politique. Que ce soit sur les questions internationales ou nationales, il y a une volonté systématique de sa part d’être en opposition frontale. A chaque fois, les mots employés viennent étouffer toute parole constructive et rendent inaudible le message d’une gauche qui n’entend pas simplement contester mais fédérer pour gouverner. La conflictualisation systémique place un plafond de verre au-dessus de la gauche alors qu’elle doit s’élargir pour gagner. Prenez les retraites : nous étions d’accord sur l’iniquité du projet, nous avons fait des meetings communs, nous étions même d’accord sur la stratégie à opposer au gouvernement. Il a suffi d’une intervention extérieure, celle de Jean-Luc Mélenchon, pour que, d’un seul coup, nous nous retrouvions dans une situation de blocage. La Nupes, ce sont cinq formations politiques. Il n’y a pas de chef de la Nupes. Sur l’attaque terroriste de ce week-end, toutes ont pris une position identique sauf LFI. Il est inacceptable que la gauche soit obligée de répondre sur toutes les ondes de cette prise de position au détriment du message que nous devrions porter en commun : la recherche d’une solution politique pour une paix durable.
C’est justement ce que vous reprochent ceux qui veulent que le PS acte la rupture avec LFI…
La réalité de la gauche est diverse. Elle comprend aussi les insoumis. Jean-Luc Mélenchon a fait 22 % à la présidentielle. Personne ne peut rayer cela d’un trait de plume. Comment veulent-ils fédérer la gauche quand ils commencent par exclure tous les insoumis, les Verts parce qu’ils contestent leurs autoroutes, les communistes quand ils réclament la retraite à 60 ans. Je ne crois pas aux gauches irréconciliables. Mais je crois à la nécessité d’un dépassement qui passe par un changement radical de méthode avec celles et ceux qui y sont prêts.