Blog-notes N11 : Il y a 120 ans
Voici 120 ans, à quelques pas de notre siège actuel, naissait lors de son « congrès du globe » des 23/24/25 avril 1905, le parti socialiste, section française de l’internationale ouvrière (SFIO).
L’unité des socialistes, réalisée partout ailleurs en Europe depuis des années, était, après plusieurs tentatives, se concrétisait enfin ; en réalité, imposée par l’Internationale socialiste quelques mois plus tôt lors de son Congrès d’Amsterdam.
Elle se fit aux conditions de Jules Guesde, marxiste de stricte obédience, fondateur du Parti Ouvrier Français, mais elle s’épanouit autour de Jaurès qui, jusqu’à son assassinat le 31 juillet 1914, en fit plus qu’une organisation : une espérance !
Cette unité, si laborieusement obtenue, s’est maintenue avec suffisamment de force au fil des décennies pour que plus d’un siècle plus tard nous puissions encore la célébrer.
Certes la « vieille maison », comme l’appelait Léon Blum, a failli disparaître plusieurs fois.
D’abord à Tours, en 1920, lors de la scission de tous ceux que fascinait la révolution russe de 1917 et qui s’alignèrent sur les 21 conditions fixées par Lénine.
Avec la Libération qui ne vit émerger de la guerre qu’une poignée de résistants autour de Daniel Mayer et Léon Blum, lors de la guerre d’Algérie où les socialistes ont d’abord fait bloc derrière Guy Mollet et une politique de guerre dure, avant que la « minorité » anticolonialiste, malmenée en interne, ne finisse par quitter la SFIO et se constituer en parti à part, en plaidant pour une résolution négociée et l’indépendance algérienne.
Plus récemment, avec la violence du choc ressenti en 2017 qui firent douter plus d’un de notre capacité à en surmonter l’épreuve du macronisme.
À chaque fois, pourtant le Parti socialiste a survécu et je rends hommage à ces milliers de militantes et militants, élus ou non, d’avoir tenu bon pour et nous permettre d’en fêter aujourd’hui le 120e anniversaire.
Comment expliquer cette permanence ?
Pourquoi notre parti a-t-il ainsi su défier le temps et ses épreuves ?
Qu’y a t il dans ce que nous portons qui ne peut pas, qui ne doit pas mourir ?
La force exceptionnelle d’une idée forgée voici près de deux siècles, mais qui reprit le combat mené par les hommes depuis la nuit des temps pour voir reconnaitre leurs droits fondamentaux !
L’idée socialiste est née avant le parti.
Elle lui est même bien antérieure puisqu’elle émerge avec la manufacture et l’industrie, au milieu du 19e siècle.
Si elle trouve ses sources encore en deçà, dans la recherche foisonnante née de la Révolution Française, d’une possible harmonie sociale, elle est d’abord un cri de souffrance et de révolte face à la condition faite à la classe ouvrière naissante, dont l’humanité était niée par la cupidité et la violence du capital !
Le premier probablement à la nommer fut un ouvrier typographe, autodidacte et philosophe, futur député de la Seconde République, Pierre Leroux, qui déjà recherchait – ce qui sera notre caractéristique constante – comment concilier liberté et égalité, révolution sociale et respect du suffrage universel.
D’autres, innombrables, modestes ou passés à la postérité, ont fait vivre cette merveilleuse idée au péril de leur liberté et parfois même de leur vie, manifestant l’originalité du socialisme français, rétif et tard rallié au marxisme (qui tentera d’ailleurs de le dénigrer en le qualifiant d’utopique).
Et si Jaurès tient en notre cœur une place si grande, c’est non seulement en raison de sa vaste intelligence, de sa générosité et de son courage mais aussi parce qu’il sut réunir les origines françaises et allemandes du socialisme dans une synthèse féconde dont la puissance est encore perceptible aujourd’hui.
Cette histoire, notre histoire, nous révèle pourquoi toujours les Fourrier, Leroux, Blanc, Flora Tristan, Proudhon, Malon, Allemane, Vaillant, Longuet, Blum, Lebas, Salengro, Lagrange, Philip…..trouvèrent des héritiers : parce qu’ils portaient une ambition que nul autre à part eux ne portait : faire vivre ensemble la justice et la liberté.
Refusant au nom de la liberté la dictature du collectif, plus tard celle du prolétariat ; refusant au nom de la justice, la loi exclusive du marché !
Ils tentèrent d’inventer une solution nouvelle dont les termes restent plus que jamais d’actualité !
Sous quelles formes ? Telle est la question à laquelle notre génération doit répondre…
Celle, plus qu’honorable mais qui n’a jamais eu très bonne presse en France, de la social-democratie ?
Portée au pouvoir en Suède dès l’entre deux guerres, présente dans toute l’Europe démocratique après la Libération, elle sera à l’initiative de formidables avancées sociales.
Nous savons cependant aujourd’hui avec le recul que ces progrès massifs ne furent qu’un moment de l’histoire de nos sociétés et que la parenthèse d’un demi-siècle qui permit ses avancées s’est refermée.
Il y eut en quelque sorte un « moment social-démocrate », d’avant la mondialisation, durant lequel, à l’abri des frontières, les États sous la pression syndicale et populaire, la menace de l’URSS, purent par la dépense publique et la redistribution, soutenir le plein emploi et développer les garanties sociales.
Si nous avons failli disparaître, c’est parce que cette période s’est refermée.
Sans doute avons-nous mis un peu de temps à le comprendre.
La chute de l’URSS ne donnait-elle pas raison au socialisme démocratique ?
Les socialistes d’alors crurent trouver un nouveau souffle du côté d’un libéralisme économique tempéré, mâtiné de social, que pratiquèrent jusqu’à récemment tous les gouvernements sociaux démocrates au péril de s’aliéner les catégories populaires.
C’était en effet négliger le caractère totalisant de l’ultra-libéralisme, et de son avatar nationaliste et identitaire, qui n’a d’autre objectif qu’une victoire totale, loin de tout compromis.
Les ultra libéraux assument de revenir sur tous les acquis du dernier demi-siècle pour rendre le pouvoir aux puissances de l’argent, quitte à lui sacrifier la planète ! Il n’ont aucun scrupule à reprendre les slogans et la vulgate raciste de l’extrême droite si c’est la condition de leur maintien au pouvoir.
Face à l’internationale réactionnaire, pré fasciste, l’heure n’est pas à la tergiversation, mais au combat.
Aussi, ma conviction est-elle – face à un capitalisme sauvage qui n’est pas sans rappeler celui du 19e siècle – d’un nécessaire retour aux sources pour inventer un socialisme ajusté aux temps nouveaux, un socialisme écologique, intégrant à son exigence de justice sociale celle de la justice écologique ; reprenant la lutte pour protéger l’humanité de la voracité du capital en y incluant la Terre et le vivant ; mobilisant de nouvelles formes d’intervention et de contrôle publics associant plus étroitement les citoyens dans la gestion des biens communs; opposant à la compétition la mise en place de coopérations organisées autour d’objectifs partagés.
C’est cette nouvelle étape qu’il nous faut franchir.
Après le socialisme utopique des fondateurs, le socialisme de combat de la première moitié du siècle dernier, du socialisme de compromis de la seconde moitié, et du socialisme de gestion des décennies écoulées, il nous incombe d’inventer un socialisme de transformation sociale, démocratique, féministe et écologique. Un socialisme qui poursuit ses combats d’hier, aux côtés du monde du travail, et l’enrichit de tous ces nouveaux combats : pour les droits des femmes, des travailleurs des plateformes numériques, contre toutes les discriminations, pour la biosphère …
Pour être des continuateurs, nous devons être des inventeurs.
Comme le furent en leur temps les Leroux, Blanc, Proudhon, Jaures, Blum ou Mitterrand.
Si nous devons regarder vers le passé, vers notre passé, ce n’est pas pour y rechercher les réponses d’hier aux problèmes d’aujourd’hui, mais pour y puiser la force, l’élan, le souffle que donne la dynamique d’une idée en mouvement depuis un siècle et vingt ans !
Si l’on veut bien considérer l’enjeu, l’on mesure la relativité de certaines de nos querelles et notre immense responsabilité.
Il s’agit pour notre génération de se mettre à la hauteur de celles et de tous ceux qui ont su maintenir vivante l’idée du socialisme.
Pour y parvenir, ils durent faire preuve d’une grande lucidité et d’une inébranlable confiance en l’homme.
Ils savaient qu’ils étaient les héritiers d’un combat immémorial.
Ils savaient plus encore, puisque le socialisme se veut une force de régénération, qu’ils devaient par leur comportement, leur façon d’être et d’agir, rassembler toutes les forces organisées ou non qui partagent le même idéal, et donner l’exemple de ce que pourrait être une société meilleure.
C’est cette inspiration qui doit désormais guider les travaux de notre 81eme congrès. Tout le reste n’est qu’inutiles bavardages.