Libération «Il faut être dur avec l’islamisme radical, mais aussi avec ses causes»
La gauche et la laïcité ? La République était-elle à la hauteur de ses promesses ? Des questions qui mettent en lumière des tensions entre les différentes familles de gauche : elles s’accusent les unes et les autres de ne pas être à la hauteur. Jeudi soir, le Parti socialiste organise une soirée numérique afin de tenter de répondre aux questions. Le premier secrétaire, Olivier Faure, en profitera pour présenter ses «contre-propositions» au «projet de loi confortant les principes républicains», texte sur la table du Conseil des ministres le 9 décembre. Mercredi matin, Libé a passé un moment dans le bureau du premier des socialistes afin de mettre des mots sur ses intentions.
Est-il vraiment utile pour le PS d’organiser ce soir un raout avant le projet de loi dit «séparatisme», autrement dit dans l’agenda du gouvernement ?
Nous répondons à une actualité. Qui peut penser que le projet dans sa version actuelle est de nature à répondre aux enjeux qu’Emmanuel Macron avait lui même posé dans son discours des Mureaux. A l’époque il parlait de lutter contre tous les séparatismes. Il en a abandonné l’ambition. Aujourd’hui, le texte se limite à un durcissement de certaines règles. Il manque cet équilibre entre la fermeté sur les principes et la volonté de consolider dans les faits les valeurs républicaines. C’est la raison pour laquelle nous présentons nos premières pistes alternatives. Depuis un siècle, l’histoire des socialistes c’est la République jusqu’au bout, un état d’esprit qui demande à être consolidé chaque jour, là où la droite se limite trop souvent à la défense d’institutions figées.
Comment trouver l’équilibre entre la lutte nécessaire contre l’islamisme radical et protéger les musulmans de tout amalgame ?
Il faut être dur avec l’islamisme radical, mais aussi dur avec ses causes. Si un volet répressif est nécessaire, la République et la laïcité ne peuvent apparaître comme de simples outils de répression d’une partie de la population. Il y a aussi un mélange de social, de discriminations, d’humiliations sur lequel prospèrent les prêcheurs de haine auquel il faut s’attaquer. Il faut montrer à chacun qu’il a sa place dans la République et que la laïcité nous protège tous, croyants ou pas. La République, c’est un projet vivant, toujours en devenir, qui consiste à aller vers plus de liberté, d’égalité et de fraternité. Sans ce message, on est à côté de la plaque et le risque, c’est qu’elle devienne non pas une langue morte mais une langue étrangère pour une part croissante de nos concitoyens qui ne la comprennent pas faute d’en voir l’effectivité.
Une «République vivante», ça veut dire quoi ?
Il y a des gens qui pensent et parlent de la République comme on parlerait d’un bloc fossilisé. Depuis nos ancêtres les Gaulois, elle a beaucoup évolué et elle s’adaptera encore sans se trahir. Elle a été très majoritairement blanche et catholique. Du moins dans l’Hexagone. Elle l’est demeurée pour une part. Mais la France est devenue un pays métissé et multiconfessionnel, imprégné par différentes cultures. Aujourd’hui, le Français, il est noir, il est blanc, il est jaune, il est brun. Il est athée, catholique, musulman, juif, protestant, bouddhiste, agnostique… Il faut faire vivre cette France-là.
La laïcité apparaît comme un principe le plus souvent asséné d’en haut…
A force de la mettre à toutes les sauces, souvent de manière inappropriée, elle finit en effet par être perçue de plus en plus largement comme un instrument bâti contre l’islam. Rappelons d’ailleurs que la laïcité, c’est celle de l’Etat et des agents publics, pas celle de la société tout entière.
Vous dites séparatisme au singulier, ce qui revient à ne parler que de l’islam radical, ou séparatismes au pluriel ?
Les séparatismes peuvent être religieux, idéologiques ou sociaux. Le séparatisme, c’est donc aussi le séparatisme entre les riches et les pauvres ou la séparation qui s’opère progressivement entre les métropoles et le reste des territoires. Sans oublier bien sûr la question centrale des ghettos urbains, terreau de bien des dérives. Et tous les séparatismes se nourrissent les uns des autres.
Premier ministre, Manuel Valls avait aussi parlé d’«un apartheid territorial, social, ethnique, qui s’est imposé à notre pays»…
Je ne vois rien de tout cela dans le projet qui s’annonce. Si ça se limite à ce qu’ils disent aujourd’hui, on passe à côté de l’essentiel. Parce que si on reprend le cheminement de ceux qui basculent dans le fanatisme et parfois jusqu’au terrorisme, comment se passe le mécanisme, le cercle vicieux ? D’abord le chômage structurel, puis le développement d’une économie parallèle, suit la destruction des familles, la montée des violences, le face-à-face récurrent avec les forces de l’ordre, la fuite des habitants qui le peuvent, puis la constitution de ghettos avec les familles les plus vulnérables avec une connotation souvent ethno-raciale. C’est une différence avec Manuel Valls, je pense moi qu’il faut comprendre. Comprendre sans excuser, mais comprendre parce que c’est la seule façon de ne pas répéter. Assumer que notre pays a tourné le dos à une partie de sa population, avec pour seule réponse la répression. Aujourd’hui, les gens vivent côte à côte, demain, ils vivront face à face, il est urgent que chacun en prenne conscience.
Quelles sont vos propositions concrètes ?
Par exemple en matière de mixité sociale et scolaire. Quand l’école a mauvaise réputation, les parents fuient et les ghettos naissent. Interdire le contournement y compris par le recours aux écoles privées. Donner la main aux préfets quand les communes ne respectent pas leur part de l’effort de construction de logements sociaux, créer un parquet dédié à la lutte contre les discriminations, soutenir les professeurs qui font face à la contestation de leurs enseignements, renforcer les services de renseignement, créer un musée de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation…
Le PS cherche-t-il à se réaffirmer sur le terrain de la République en décernant bons ou plutôt des mauvais points républicains aux écologistes et aux insoumis ?
Mon sujet n’est pas de donner des leçons ou des bons points. Je cherche simplement à tirer l’ensemble de la gauche vers un discours qui soit le plus clair possible, sur des valeurs qui me semblent cardinales. Quand Jean-Luc Mélenchon s’égare en mettant Charlie Hebdo et Valeurs actuelles sur le même plan, oui ça me choque. On ne peut pas dire n’importe quoi. Il est dans un registre glissant. Pour moi, ce n’est pas possible. Donc je réaffirme avec le plus de force possible notre attachement aux valeurs républicaines.
Votre logiciel universaliste a-t-il du mal à intégrer des concepts comme l’intersectionnalité ?
Je n’oppose pas universalisme et intersectionnalité. Le point de départ de l’approche intersectionnelle c’est de prendre en compte le cumul de handicaps qui frappent une partie de la population et qui rend des droits, présentés comme universels, inopérants pour certains. Il y a des mécanismes de domination parfois communs et les gens qui les subissent peuvent se relever ensemble pour dire : «Stop, ça suffit !» Mais je m’oppose aux organisations qui cherchent à instrumentaliser des travaux universitaires pour en faire un bélier contre l’universalisme républicain. Ce qui me heurte c’est qu’on fasse le procès des Lumières à cause de la colonisation, qu’on considère que la pensée née de la Révolution est en réalité l’instrument de domination de l’Occident blanc contre le reste du monde. Je pense qu’il y a des valeurs universelles qui méritent d’être défendues où que ce soit. Inversement on ne peut pas non plus considérer que la République est bonne mère pour tous ses enfants. Elle est évidemment une fiction pour beaucoup de Français. Donc on ne peut pas dire «vous êtes en République, vous avez de la chance, bravo et merci».
Mais que reprochez-vous concrètement aux écologistes ?
Ces sujets-là ne font pas partie de leur matrice originelle. Ils se sont plutôt construits contre l’Etat, perçu comme un agent du productivisme, ils sont plutôt fédéralistes, libertaires, ils ont abordé les questions régaliennes du côté des droits des minorités… Je ne leur reproche pas. C’est leur histoire et leur apport. Mais ils doivent maintenant répondre à la question : comment fait-on vivre les gens ensemble dans la République. Vivre en harmonie avec la planète est une réponse, essentielle certes, mais pas exclusive.
Quand on veut l’union, n’est-ce pas contre-productif de taper aussi fort sur ses alliés ?
Construire une coalition ne veut pas dire s’aligner les uns sur les autres. Lorsqu’on porte quelque chose de différent, on dit ce qu’on a à dire. Après, on discute, on voit comment avancer ensemble. Si on ne se met pas d’accord, les Français tranchent. C’est la démarche de la primaire des idées que j’ai suggérée.
On a l’impression qu’il y a une mise en scène des divergences.
Non. La marche du 10 novembre 2019 «contre l’islamophobie» n’était pas anecdotique. La gauche ne pouvait pas défiler sous des mots d’ordre en contradiction avec nos valeurs.
Cette manifestation s’est construite sur un vide. Le PS a dénoncé l’attaque d’une mosquée, mais sans rien organiser. Vous comprenez qu’une partie de la population a le sentiment de ne jamais être une priorité même dans les malheurs ?
On aurait dû organiser une manifestation sous les couleurs de l’antiracisme, c’est vrai, mais ce n’est pas parce qu’il y a un vide que nous devons le combler en manifestant derrière de mauvais mots d’ordre.
Ce débat sur le séparatisme n’est-il pas au fond un dangereux remake du débat sur l’identité nationale sous Sarkozy ?
Le sujet de l’identité et de la République s’est imposé. Il hante la France depuis les années Sarkozy. Il y a un moment, il faut le purger et nous n’avons aucune raison de l’esquiver. C’est le moment où il faut dire ce qu’est la nation française. Il faut assumer ce que nous sommes : un mélange à travers les siècles. Lorsqu’on tire la pelote de la République, il y a beaucoup de choses derrière. On commence par la nation, très bien, et on arrive à ce qui la détruit les inégalités, le racisme, le mal logement, les inégalités scolaires. Il y a des gens qui prônent une identité figée, régressive et passéiste. Nous devons fièrement porter l’identité réelle de ce pays, que nous bâtissions, la République fraternelle en recherchant les conditions d’une égalité réelle.