Égypte : la situation des droits humains impose un message de fermeté
Aux côtés d’élus européens, j’appelle à la mise en place d’un mécanisme de surveillance et de communication de l’information sur l’Égypte au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies.
L’intégralité des signataires est >> disponible ici <<
Mesdames et Messieurs les Ministres des Affaires Étrangères,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies,
En notre qualité de parlementaires, nous vous écrivons pour vous demander instamment d’assurer la mise en place d’un mécanisme de surveillance et de communication de l’information concernant les droits humains sur l’Égypte, en prenant des mesures à cette fin lors de la prochaine session du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies en mars 2022.
Nous sommes extrêmement préoccupés par l’échec persistant de la communauté internationale à prendre des mesures significatives face à la crise des droits humains en Égypte. Cet échec, ainsi que le soutien continu au gouvernement égyptien de la communauté internationale et à sa réticence même à dénoncer les abus, n’ont fait que renforcer le sentiment d’impunité des autorités égyptiennes.
Depuis la chute de l’ancien président Mohamed Morsi en 2013, les autorités égyptiennes dirigent le pays d’une main de fer, avec une répression brutale et systématique de toute forme de dissidence et la réduction drastique de l’espace civique. Les autorités égyptiennes ont placé en détention arbitraire des milliers de personnes considérées comme dissidentes, dont un grand nombre de défenseurs des droits humains, de journalistes, d’avocats, de militants pacifiques et de personnalités politiques d’opposition, dont Ibrahim Metwally Hegazy, Zyad el-Elaimy, Ibrahim Ezz el-Din, Haytham Mohamdeen, Hoda Abdelmoneim, Abdel Nasser Salama, Abdel Moneim Aboul Fotouh et Mohamed al-Baqer. Un grand nombre d’entre eux sont maintenus en détention provisoire pour une durée indéterminée ou purgent des peines prononcées à l’issue de procès manifestement inéquitables, notamment par des tribunaux militaires et des tribunaux d’exception dont les décisions ne peuvent faire l’objet d’un appel. Les personnes libérées doivent en outre faire face à des mesures extrajudiciaires abusives de la part d’agents de l’Agence Nationale de Sécurité adoptées dans le but d’étouffer toute velléité d’activisme.
Ces violations ont lieu dans un contexte où la torture est systématiquement pratiquée, notamment par les agents de police et de l’Agence Nationale de Sécurité, comme l’attestent le Comité contre la torture des Nations unies et les ONG. Les conditions de détention notoirement déplorables en Égypte ont déjà coûté la vie à des dizaines de personnes depuis 2013, dont l’ancien président Morsi et le cinéaste Shady Habash.
Les quelques ONG indépendantes de défense des droits humains qui peuvent encore fonctionner en Égypte courent de sérieux risques ; leurs activités sont sévèrement limitées par une loi répressive sur les ONG, ainsi que par des interdictions de voyager, des gels d’avoirs et un harcèlement persistant de la part des agences de sécurité et d’autres acteurs institutionnels. Dans ce contexte de restrictions et d’intimidations, les ONG locales et internationales continuent néanmoins à documenter un grand nombre de violations des droits humains commises par les autorités égyptiennes, dont des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, des détentions arbitraires de femmes pour des raisons de « moralité », des procès à l’encontre de mineurs tenus dans les mêmes conditions que ceux des adultes, de nombreuses atteintes aux droits des personnes LGBTI, ainsi que des arrestations et poursuites judiciaires à l’encontre de membres de minorités religieuses pour blasphème, pour n’en citer que quelques-unes.
En outre, avec 107 exécutions enregistrées en 2020, l’Égypte est devenue le troisième pays avec le plus grand nombre d’exécutions au monde. En 2021, ce rythme effréné s’est poursuivi avec au moins 83 exécutions enregistrées à ce jour, y compris à la suite de procès manifestement inéquitables.
Malgré la gravité de cette situation, la communauté internationale a, dans l’ensemble, limité sa réaction à de rares déclarations au Conseil des droits de l’Homme des Nations unies. Ces déclarations contiennent souvent une phrase introductive reconnaissant le rôle de l’Égypte en matière de sécurité et stabilité régionale et de gestion des migrations – des préoccupations que ses partenaires internationaux semblent avoir largement privilégiées par rapport aux droits fondamentaux en Egypte, et sans doute au détriment de ceux-ci, s’inscrivant ainsi dans une fausse dichotomie entre stabilité et droits humains que nous rejetons avec la plus grande fermeté. Les déclarations publiques faites par les officiels lors de visites de haut niveau et de réunions bilatérales font aussi souvent l’éloge du gouvernement égyptien coûte que coûte.
Nous notons certaines modestes mesures annoncées ou prises récemment par les autorités égyptiennes, mais regrettons que ces mesures ne constituent guère plus qu’une tentative de blanchir leur bilan déplorable, et qu’il est peu probable qu’elles aient un impact significatif sur la crise des droits humains en Égypte.
La nouvelle « Stratégie nationale en matière de droits humains », élaborée dans l’opacité et sans consultation de la société civile indépendante, passe sous silence de graves problèmes de droits de humains passés et présents – tels que la détention arbitraire prolongée de dissidents pacifiques, les disparitions forcées et la torture dans les centres de détention – et n’identifie pas de mesures concrètes pour faire rendre des comptes aux responsables. Au contraire, la stratégie rejette la responsabilité de la crise actuelle des droits humains sur le manque de sensibilisation du peuple égyptien, des partis politiques et de la société civile.
Après la levée de l’état d’urgence, le Parlement égyptien a adopté une série de dispositions s’apparentant à des lois d’exception, qui étendent la compétence des tribunaux militaires sur les civils et augmentent les atteintes au droit à l’information, ce qui n’a fait qu’ancrer l’état d’urgence de manière permanente dans le système juridique égyptien. Par ailleurs, les Cours de sûreté de l’État (tribunaux d’exception) ont condamné l’ancien parlementaire et avocat de défense des droits humains Zyad el-Elaimy, les journalistes Hossam Moaness et Hisham Fouad, l’activiste Alaa Abdelfatth, l’avocat de défense des droits humains Mohamed al-Baqer et le bloggeur Mohamed « Oxygen » Ibrahim, et continueront de statuer sur les affaires qui leur ont déjà été soumises, notamment celles de Patrick Zaki, Hoda Abdelmoneim, Abdel Moneim Aboul Fotouh, et bien d’autres. Lla dernière libération de prisonniers pour réduire la surpopulation carcérale a exclu les très nombreux défenseurs des droits humains et militants politiques derrière les barreaux. Enfin, si la libération des activistes et défenseurs Ramy Shaath et Ramy Kamel est bienvenue, ce geste ne doit pas nous distraire du maintien de milliers de prisonniers politiques en détention arbitraire et injuste.
Bien que largement superficiels, ces développements mineurs sont un signe que les autorités égyptiennes sont sensibles à la pression internationale. Ils font suite à la déclaration interrégionale sur l’Égypte au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU de mars 2021 menée par la Finlande, qui était seulement la deuxième déclaration de ce type depuis l’arrivée au pouvoir du président Abdel Fattah al-Sissi, malgré les abus soutenus, généralisés et systématiques commis par les autorités sous sa présidence. La précédente déclaration, en 2014, n’avait finalement pas abouti à des changements durables en matière de droits humains dans le pays, notamment en raison d’un manque de suivi collectif de la part des États membres de l’ONU. Il faut désormais tâcher d’assurer ce suivi.
La déclaration conjointe de mars 2021 ne doit pas rester un événement ponctuel. Nous vous demandons dès lors instamment d’accroître vos contacts avec vos interlocuteurs dans les pays partenaires afin de renforcer la dynamique au sein du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en faveur de la mise en place d’un mécanisme de surveillance et de communication de l’information sur l’Égypte, qui n’a que trop tardé. Nous vous demandons également d’augmenter de manière significative la pression sur les autorités égyptiennes au niveau bilatéral, pour réagir résolument la crise des droits humains en Egypte et obtenir des progrès réels.