Lendemains de cendres
Avec un titre pareil, vous devez vous dire que cette fois, j’ai complètement déplombé. Vous devez vous dire » la défaite de la gauche aux présidentielles et législatives l’a tellement atteint qu’il en a perdu le sens commun le pauvre Faure… » Mais non, rassurez vous… Tout va bien ! » Lendemains de cendres » n’a rien à voir avec la situation politique du pays.
Comme certains le savent, je suis avec intérêt tout ce qui sort en BD. Le dessin fait partie de mes passions (J’ai été édité en janvier dernier : » Ségo, François, Papa et moi « , Hachette Littératures). J’ai donc découvert ce week-end cet ouvrage. Il y a au moins un avantage à avoir perdu les élections ! et je voulais donc vous en parler…
Voilà des années que la BD a quitté les rives de l’enfance pour aborder les sujets les plus graves. Les guerres (Algérie, Yougoslavie), le terrorisme, la politique… La BD traite de tout désormais.
Cette fois c’est le génocide cambodgien qui est évoqué.
Y-a t-il des lendemains, fussent de cendres, pour les rescapés de la folie meurtrière et paranoïaque des dirigeants du Parti du Kampuchéa démocratique, parti des Khmers rouges ?
L’auteur, Séra, lui-même exilé à l’âge de 14 ans du Cambodge, nous raconte l’agonie du régime de Pol Pot qui justifia à partir de 1977 ses échecs par la présence de » mauvais éléments » et organisa des purges sanglantes. Son héros, Nhek, entame un long exode vers la Thaïlande à travers villages et rizières. A chaque instant, il craint les kang chhlôp (espions – délateurs) et ressent la présence quasi mystique de l’Angkar (littéralement l’organisation. C’est le gouvernement khmer rouge), qui dicte à ses sujets science et conscience, bien et mal, droit et vérité. Les rencontres de Nhek sont toutes douloureuses : Avec le frère qui a basculé dans la révolution. Avec celles et ceux qui fuient le cauchemar sans parvenir à le distancer vraiment.
Dans cette Indochine compliquée, le voisin vietnamien intervient en décembre 1978 au prétexte d’incidents violents et répétés le long de la frontière commune. Mais les libérateurs deviennent vite des occupants aux yeux de l’occident. Les Nations Unies qui n’avaient jamais élevé la voix contre le régime de Pol Pot condamnent l’invasion vietnamienne. Les Américains qui dans le contexte de la guerre froide redoutent l’extension de la zone d’influence soviétique (l’URSS et les Vietnamiens sont alliés) en viennent à financer la » résistance » khmer rouge… À l’ONU c’est l’ambassadeur du Parti du Kampuchéa démocratique qui continue de représenter le Cambodge après la chute de Pnom Penh. Ce sont les bourreaux qui continuent de représenter leurs victimes et ce sont les occidentaux qui aident l’armée défaite de Pol Pot à se reconstituer… Allez comprendre !
La guerre continue donc. Nhek sert comme tous les civils qui se replient vers la Thaïlande de bouclier humain aux khmers rouges en déroute. C’est sur ces chemins de boue sertis de mines anti-personnel que Nhek perd une jambe. Entre les balles thaï khmer et viet, il découvre une violence sans limite ni pitié. Le mal est partout et l’espérance nulle part.
Séra témoigne avec justesse et sensibilité de ce massacre dont les responsables, presque tous vivants, attendent encore d’être jugés.
En guise d’épilogue, l’auteur nous livre quelques croquis frénétiques de sa ville Pnom Penh. Nous sommes en 1993, deux ans après les » accords de Paris « . 18 ans après l’exil, Sera est de retour au pays. Séra parle de » renaissance « . Dernière aquarelle, et enfin un ciel bleu.
BD. 128 pages. Scénario, dessin et couleur : Sera. Préface de Bernard Kouchner. Delcourt éditeur.