Entretien à Libération
La gauche a toujours été plurielle. Chaque fois qu’elle a su valoriser ses combats communs, par préférence à l’exacerbation caricaturale de ses désaccords, elle l’a emporté.
Voici l’intégralité de mon entretien à Libération.
Olivier Faure interroge souvent : «Vous avez l’impression que je m’amuse depuis quatre ans ?» Façon de dire qu’il ne veut pas rester à la tête du Parti socialiste (PS) par plaisir mais par devoir. En mars, sentant venir le pire score de l’histoire du PS, il nous disait : «Pour reconstruire, il faut une victoire ou un échec suffisamment fort pour se remettre en question. Après la présidentielle, quand on aura touché le fond, ce sera le moment de le faire. Je ferai tout pour, j’espère qu’on me laissera faire.»
Depuis son élection à la tête du PS, le député de Seine-et-Marne promet que la survie du parti passera par sa capacité à s’ouvrir. Anne Hidalgo a fait le chemin inverse, se refermant progressivement sur une ligne d’identité socialiste et écartant en même temps Olivier Faure. Pour lui, ses 1,7% montrent qu’il avait raison. Mais il doit faire avec une nouvelle donne : à 22% au premier tour, Mélenchon s’est imposé à gauche. Celui que les socialistes ont tant attaqué pendant la campagne, soulignant à gros traits les différences. Les écologistes et les communistes, qui discutaient des législatives avec les socialistes, préfèrent désormais envoyer des courriers et lancer des appels aux insoumis. Le patron du PS espère qu’il ne sera pas exclu de l’accord que les trois autres camps tentent d’écrire. Il en va de la survie du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, il doit donc mettre en pratique ce qu’il prône : l’humilité des socialistes, plus que jamais éprouvée par l’attitude des insoumis, qui proposent à EE-LV et au PCF un accord sur la base de leur programme et de leurs résultats à la présidentielle. Une base de négociation difficile, qui n’a même pas été proposée au PS. A travers cet entretien, Faure tente donc de tendre la main. Mais pas la joue.
Dimanche soir, la candidate du PS a recueilli moins de 2% des voix. Comment vous expliquez ce score ?
La campagne n’a jamais pris. La confrontation entre les candidats et les projets n’a pas eu lieu avec un Président qui est arrivé tard, sans accepter le débat. Les sondages ont eu un effet autoréalisateur. La division de la gauche a fait le reste. Socialistes et écologistes, qui totalisaient entre 18 et 20% des sondés en octobre, sont progressivement devenus des votes inutiles. C’est un grand gâchis et un rendez-vous raté.
Il n’y a pas de responsabilité de la candidate ?
Anne Hidalgo s’est battue avec détermination et courage. Je ne suis pas d’humeur aux règlements de comptes, ni à la désignation de boucs émissaires.
Jean-Luc Mélenchon, lui, a fait 22 %. Il est hégémonique aujourd’hui à gauche ?
Il a mené une belle campagne. Il a convaincu une large part de l’opinion de la pertinence de son projet et il a su capter le «vote utile» des Français qui voulaient à la fois éviter un deuxième tour dont la gauche serait absente et où l’extrême droite risquait d’être trop présente. Mais personne n’est propriétaire de ses voix. Depuis cinq ans, chacun croit conquérir tour à tour un leadership qui change de main à chaque scrutin.
Au-delà du vote utile, son score ne signifie-t-il pas qu’une page du réformisme se tourne et que l’aspiration à plus de radicalité a pris le pas ?
Il y a incontestablement une part de l’électorat qui est en recherche de radicalité mais ce n’est pas incompatible avec la réforme. Les congés payés, la réduction du temps de travail, la Sécurité sociale, le revenu minimum, c’étaient quoi, sinon des réformes radicales ?
Dès dimanche soir vous avez appelé à l’ouverture du PS pour sa survie, en passant un accord dès les législatives. Les insoumis sont maintenant au centre du jeu. Vous voulez faire partie de leur rassemblement ?
Prenons d’abord un peu de recul. Nous ne vivons pas sur une île déserte où seules coexistent les gauches. L’extrême droite n’a jamais été à un niveau aussi élevé et le président sortant consolide son socle. En dépit du résultat de Jean-Luc Mélenchon, la gauche a de nouveau échoué aux portes du second tour. Alors que fait-on ? Stop ou encore ? Au soir du premier tour, j’ai appelé à un pacte pour la justice sociale et écologique, sans exclusive. Ça veut dire que je suis partisan d’un dialogue respectueux des identités et des projets de chacun. La gauche a toujours été plurielle. Chaque fois qu’elle a su valoriser ses combats communs, par préférence à l’exacerbation caricaturale de ses désaccords, elle l’a emporté. Dans les collectivités locales nous dirigeons ensemble. Aux insoumis qui sont arrivés en tête d’assumer cette position en recherchant le rassemblement le plus large.
Jeudi, ils ont écrit aux communistes, aux écolos, mais aussi au NPA. Pas à vous. Comment vous le prenez ?
La campagne présidentielle a laissé des traces. Mais à moins d’accepter l’idée que la gauche n’ait qu’une vocation minoritaire, il n’est pas possible de refuser la discussion avec la formation de gauche qui dispose du plus fort maillage territorial. En 2017, Jean-Luc Mélenchon a déjà fait un score comparable. Il n’a pas cherché à rassembler. Nous nous sommes concurrencés dans tous les territoires. Résultat : une poignée de députés de gauche à l’Assemblée.
Sur quelle base pourrait se faire cet accord ?
D’abord, viser des candidats uniques partout où la menace de l’extrême droite existe. Ensuite, éviter les duels fratricides chaque fois qu’il y a un sortant de gauche ou écologiste. Enfin, s’accorder le plus souvent possible sur le ou la candidate qui a le plus de chances de l’emporter face aux droites en prenant en compte les résultats des derniers scrutins, de la dynamique propre à la présidentielle et des implantations territoriales.
Sans accord, vous risquez de disparaître de l’Assemblée ?
Si l’on se base uniquement sur nos résultats à la présidentielle, il y a un risque de ne pas avoir de groupe à l’Assemblée mais je sais aussi l’ancrage puissant de nos candidats et la force de nos engagements.
Avec les écolos et les communistes, vos discussions continuent ?
On continue à échanger.
Un rendez-vous avec Julien Bayou n’a pas été annulé ?
Il a été reporté au lendemain du week-end de Pâques.
Dans le même courrier, les insoumis disent que leur but est de construire une nouvelle majorité à l’Assemblée et que sa base doit être un programme commun, le leur, qui servira de référence pour les votes. Cela vous convient-il ?
Le rassemblement ne sera jamais la caporalisation. Les désaccords existent. Certains sont vifs et donnent lieu à controverses. Elles sont utiles et nécessaires si elles ne se finissent pas en caricatures médiocres. On doit se rassembler sur nos combats communs tout en respectant des histoires et des projets différents. Au cours des cinq dernières années, nous nous sommes battus ensemble à l’Assemblée contre la suppression de l’ISF, la privatisation d’Aéroports de Paris, la réforme des retraites, les ordonnances Travail de Muriel Pénicaud… Nous avons signé 35 recours communs devant le Conseil constitutionnel. Ces combats justifient le rassemblement même si nous ne serons jamais des clones. Je respecte les insoumis mais je ne suis pas insoumis. Personne ne passera sous une toise.
Toujours dans ce courrier, ils reviennent sur les attaques de la gauche contre Mélenchon au cours de la campagne et leur demandent de s’en expliquer auprès des électeurs pour qu’un rassemblement n’apparaisse pas comme un arrangement de dernière minute. Qu’en dites-vous ?
Il y a un temps pour tout. Un temps pour la campagne et un temps pour le rassemblement. Les attaques n’ont pas été unilatérales. Les insoumis ne se sont pas privés ces dernières années. Maintenant, il faut passer par-dessus les rancœurs qui existent.
Quels sont les désaccords qui restent ?
Ils sont nombreux. La gauche sans le pluralisme, ce n’est plus la gauche. Les plus récents portent sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la Russie ou de la Chine et le rapport à l’Otan. J’observe qu’il y a eu des évolutions salutaires sur la guerre en Ukraine. Sur le second tour de la présidentielle pour nous, le barrage à l’extrême droite suppose le vote Macron parce qu’il n’est pas d’équivalence possible entre les deux menaces. Les législatives seront le moment de faire obstacle à la retraite 65 ans, la privatisation des services publics, le conditionnement du RSA…
A LFI, tout le monde n’est pas d’accord avec cette ouverture au PS. Comment allez-vous faire ?
Il n’y a pas de gauches irréconciliables. C’est le sens du vote des électeurs de gauche le 10 avril. L’aspiration unitaire traverse toutes les sensibilités. Il serait irresponsable de ne pas entendre ce message et de rester figés dans le déni. Socialistes, écologistes, communistes, radicaux, insoumis, nous avons de légitimes différences. Mais nos concitoyens ne tergiversent pas. Face aux menaces de nature différentes de la droite et de l’extrême droite, ils jouent la gagne, pas le énième épisode de «petits meurtres entre amis». Les insoumis portent la responsabilité principale du rassemblement du fait de leur score. Mais ils auraient tort d’y voir un chèque en blanc. Personne n’a jamais raison tout seul.
Les insoumis, disent-ils, ont noté les critiques de la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, à l’encontre de Mélenchon au soir du premier tour. Pour eux, cela montrerait qu’il n’y a pas de volonté du PS de travailler avec eux. Brouille-t-elle votre message ?
Nous avons besoin de Carole qui est un talent, une énergie et une formidable présidente de région. Elle défend son identité. Mais il n’y a qu’un seul premier secrétaire. Et mon devoir, c’est d’ouvrir la voie d’un rassemblement de la gauche et des écologistes. C’est ce qu’attendent les jeunes, les premiers de corvée, la classe moyenne, les retraités qui aspirent à une alternative aux politiques libérales.
Pendant la campagne, François Hollande a lui aussi dit qu’il voulait participer à la refondation du PS. Il doit avoir un rôle ?
Le Parti socialiste est un parti démocratique. Chacun est en droit d’émettre un avis. Mais le rôle d’un ancien président doit être celui d’un passeur pas celui d’un empêcheur. Dans la mythologie, le titan Cronos mangeait ses enfants par crainte de leur rivalité. Cette attitude n’empêcha pas Jupiter de le détrôner… François Hollande possède une expérience unique, son bon usage est de la mettre au service de la nouvelle génération.
Revenons sur Mélenchon : êtes-vous prêt à faire le premier pas ?
Ma main est tendue. Je suis prêt à engager un dialogue à la condition que ce ne soit pas la mise en scène d’un poker menteur. Nous le devons aux Français qui désespèrent des partis tout en espérant le changement.