Interview « Les députés d’Emmanuel Macron ont fait le choix du RN »
Entretien avec Olivier Pérou pour l’Express, à retrouver en ligne ici.
L’Express : 79 candidats dissidents ont été suspendus. Est-ce le début d’une purge, d’un règlement de comptes au Parti socialiste ?
Olivier Faure : Absolument pas. C’est tout simplement l’application des statuts du Parti socialiste. Quand on se porte candidat contre ceux qui ont été investis par le PS, il y a forcément une sanction. En l’espèce, une suspension avant un débat contradictoire en commission des conflits. C’est elle qui tranche le sort de chaque cas. Quel crédit accorderait-on à un parti qui signerait des accords mais qui autoriserait, de fait, des dissidences contre ses partenaires ? Aux municipales, aux départementales, aux régionales qui accepterait encore de faire alliance avec nous ?
N’est-ce pas une chasse aux sorcières contre François Hollande, Stéphane Le Foll ou Carole Delga qui se sont opposés à l’accord de la Nupes ?
A ma connaissance ils n’étaient pas candidats aux législatives. Et si je lis la presse, Stéphane Le Foll est déjà passé à autre chose puisqu’il crée son propre parti, comme Jean-Christophe Cambadélis. Sont visés les candidats dissidents et la bonne gestion des fédérations socialistes. Il n’est pas normal que certaines aient financé des campagnes dissidentes. On ne peut pas utiliser l’argent des militants pour des candidats qui se sont auto-investis, ont contrevenu à la démocratie interne et ont fait perdre des candidats de gauche et écologistes.
C’est une manière pour vous de faire respecter l’accord de la Nupes et de ne pas fâcher vos partenaires ?
Non, c’est une manière de nous respecter nous-mêmes. Ceux qui râlent aujourd’hui ont appliqué les mêmes règles par le passé. Et tous les partis fonctionnent de la même manière. Un parti dont on ne respecte plus les décisions prises démocratiquement, c’est la tour de Babel.
Dans un entretien au Monde, Lionel Jospin dit que l’avenir du PS n’est pas joué mais qu’il doit « s’épargner une querelle stérile entre ceux qui auraient une vision triomphaliste du récent accord à gauche et ceux qui diraient que la formation socialiste y a perdu son âme. » Ne seriez-vous pas un peu trop triomphaliste depuis cet accord, Olivier Faure ?
Ce que dit Lionel Jospin, c’est ce que j’ai dit au conseil national du Parti socialiste il y a une semaine. Il y a bien sûr la satisfaction d’avoir réussi à maintenir un groupe parlementaire socialiste à un moment où nous étions, après la présidentielle, menacés de disparition au Parlement. Mais nous n’avons pas gagné pour autant les élections législatives dans le cadre de la Nupes. Cela suppose d’en analyser les raisons et de travailler pour en tirer les leçons avant les prochains scrutins. La gauche et les écologistes progressent, c’est incontestable mais ce n’est pas une victoire. Et notre objectif commun ne peut se limiter à témoigner ou à résister. Ce que nous voulons, c’est gouverner pour transformer notre pays.
Quant au fait de savoir qui a perdu son âme… Dieu seul jugera (rires). Et ceux qui emploient ce vocabulaire devraient se méfier. Ils participent à la déconstruction honteuse en cours. La gauche serait le diable et l’extrême-droite la République. Quelle faute historique et de sens. Même nos adversaires gaullistes avaient su à l’époque du stalinisme faire la distinction entre le parti des fusillés et le parti de Vichy et de l’OAS.
Deux députés du Rassemblement national ont été élus à la vice-présidence de l’Assemblée nationale, grâce notamment aux voix de la majorité d’Emmanuel Macron. Cela a beaucoup choqué la Nupes mais n’est-il pas normal que le parti de Marine Le Pen, qui compte 89 députés, ait sa voix au chapitre ?
Personne ne considère que les députés RN sont illégitimes. Ils ont été élus et, à ce titre, doivent être respectés comme n’importe quel parlementaire. C’est autre chose de voir LREM voter pour deux de leurs candidats à la vice-présidence. Ils ont 89 députés sur 577 et grâce à cette collusion honteuse ils détiennent le tiers des vice-présidences !
Les députés d’Emmanuel Macron ont fait un choix, celui du RN, alors que rien ne les y obligeait. Au parlement européen, où la question de la majorité relative se pose de la même façon, tous les groupes se sont toujours entendus pour éviter de donner une respectabilité à l’extrême droite. En France, la minorité présidentielle a décidé de participer au storytelling de la banalisation de l’extrême droite : pire, c’est l’entrée par la grande porte avec la garde républicaine ! Emmanuel Macron s’est fait élire en expliquant qu’il était le barrage face à l’extrême droite, il montre aujourd’hui que ce n’était qu’un calcul cynique et qu’il n’a aucune intention de faire barrage. Il joue sur la diabolisation des uns ou des autres pour se maintenir au pouvoir, mais sans aucune constance sur ses valeurs .
Cela ne vous a pas empêché d’obtenir la présidence de la commission des finances mais d’échouer à obtenir un siège à la questure, le fameux « ministère des secrets » du parlement…
Il y a une collusion entre LREM, LR et l’extrême droite. Pour faire barrage à la gauche à la questure, ils ont fait un pacte avec Éric Ciotti qui n’est pas le moins proche de l’extrême droite parmi les LR. Il y a quelques mois, il expliquait qu’en cas de second tour Macron-Zemmour, il voterait Zemmour. Cela permet au moins une clarification. La seule opposition au Parlement, ce sont les groupes de la Nupes.
La Première ministre Élisabeth Borne dit réfléchir à se soumettre à un vote de confiance. N’a-t-elle d’autres choix que de s’y plier alors que rien ne l’y oblige constitutionnellement ?
Quelle est la légitimité de la Première ministre ? Elle est nommée par le président de la République mais elle doit être confirmée par une majorité à l’Assemblée nationale. Cela suppose qu’elle se soumette à notre vote après avoir présenté sa feuille de route. C’est la pratique démocratique classique en Europe.
Le président de la République a appelé les députés fraîchement élus à « bâtir des compromis ». Êtes-vous prêts à le faire et tisser des compromis avec le gouvernement ou considérez-vous que tout ce qui sera proposé par lui est foncièrement mauvais ?
La question mérite d’être retournée : à quel point Emmanuel Macron est-il prêt à entendre ce que les Français lui ont dit ? Ils lui ont refusé une majorité absolue. La conséquence est qu’il doit réviser son projet. A quels renoncements est-il disposé ? Pour l’instant, il nous explique, au prix d’un extraordinaire déni, qu’il a été élu sur un « projet clair » et que les parlementaires sont appelés à lui donner les moyens de mettre en oeuvre sa politique. Il n’a visiblement tiré aucune leçon des élections législatives.
Mais vous ? Quels efforts ferez-vous ? Il faut être deux pour un compromis…
À chaque fois que nous aurons le sentiment que les mesures proposées répondent aux demandes des Français et sont à la hauteur des enjeux, nous pourrons approuver ou ne pas voter contre en nous abstenant. Il n’y aura jamais de chèque en blanc.
Parmi les premiers textes qui seront débattus, il y a avant tout celui sur le pouvoir d’achat. Que comptez-vous faire ?
Avec l’ensemble des groupes de la Nupes, nous présenterons une proposition de loi avec l’augmentation du Smic à 1 500 euros, la revalorisation des retraites, le dégel du point d’indice, l’accès au RSA pour les jeunes de moins de 26 ans, le blocage des prix des produits de première nécessité, l’encadrement des loyers. Et en face, nous montrerons que le financement est possible en taxant par exemple les bénéfices exceptionnels d’entreprises qui réalisent des bénéfices records au moment où les Français se serrent la ceinture.
Le gouvernement propose un texte sur le pouvoir d’achat qui ne permet même pas de le préserver ! L’exécutif veut augmenter de 4 % les prestations sociales alors que l’Insee prévoit une inflation à 5,8 % d’ici la fin de l’année… L’objectif, c’est la vie digne pour chacun.
Sur toutes vos propositions, vous ne ferez aucun compromis ?
Est-ce que quelqu’un peut vivre décemment avec le Smic aujourd’hui ? Non. La France est l’une des sept plus grandes puissances économiques du monde où quatre enfants sur dix ne partent pas en vacances, où il y a 3 millions d’enfants pauvres, où entre 9 et 12 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Et on nous explique que rien est possible pour ceux « qui ne sont rien », selon les critères d’Emmanuel Macron. Donc non, nous ne tergiverserons pas sur l’essentiel. L’autre jour, je vais voir une association d’aide aux devoirs et une petite fille est dehors à l’heure du dîner parce que selon ses propres mots ce n’est « pas son tour de dîner ». C’est en France au XXIe siècle et cela n’est pas acceptable.
Beaucoup s’interrogent sur la durée de vie de la Nupes qui, de temps à autre, quelques soubresauts. Peut-elle tenir dans le temps ?
Ma volonté est de maintenir cette union de la gauche et des écologistes. La division, c’est l’échec. Et à vrai dire tout va bien. Si vous cherchez des sujets, allez regarder du côté de la coalition Ensemble qui présente déjà des signes de faiblesses. François Bayrou se refuse à l’idée de sanctuariser le droit à l’IVG. Ce n’est pas une contradiction interne anodine. Cela touche à la question des principes et des valeurs.
Mais vous avez dû renoncer à la commission des finances…
Nous avons plaidé la cause de notre collègue Valérie Rabault jusqu’au bout, mais la décision finale ne nous revenait pas puisque nous ne sommes pas les plus nombreux dans notre coalition. Pourquoi le Modem ou Horizons qui appartiennent à la coalition présidentielle n’ont-ils pas obtenu la présidence de l’Assemblée ? Pour les mêmes raisons.