Blog-notes N°5 – D’un 6 juin à l’autre
Pour ses 50 ans, Libé organisait mercredi dernier une table-ronde réunissant toutes les composantes de la NUPES autour du sujet de la radicalité, occasion pour moi d’en rappeler la définition de Marx : « être radical, c’est prendre les choses par la racine. Et la racine de l’homme, c’est l’homme lui-même » et d’interpeller l’auditoire, « Les congés payés, c’est pas radical, les congés payés ? », façon de rappeler que ce qui apparaissait si radical hier nous semble aujourd’hui parfaitement naturel.
Cette gauche, capable d’entendre les aspirations du peuple, c’est la mienne. Celle du Front Populaire qui envoie pour la première fois en 1936, tous les Français en vacances pour 15 petits jours.
Comment la gauche a surmonté ses divergences pour faire front commun ? Tout n’a pas été un chemin de roses. Les communistes nés de la scission de la SFIO 16 ans plus tôt n’étaient pas ouverts au moindre rapprochement avec les socialistes. Les socialistes étaient eux-mêmes en froid avec les radicaux qui avaient choisi de gouverner avec la droite. Et pourtant ils l’ont fait. Ils ont fait le choix de converger face à la menace de l’extrême-droite et de ses ligues qui avaient marché sur le Parlement le 6 février 1934.
Le 14 juillet 1935, lors d’une manifestation entre Bastille et Porte de Vincennes : Léon Blum pour la SFIO, Jacques Duclos pour le PCF, Léon Jouhaux pour la CGT (FO et la CFDT n’existent pas encore) ou encore Victor Basch pour la Ligue des Droits de l’Homme se succèdent à la tribune devant près d’un demi-million de personnes et font le serment solennel de rester unis. Au terme de discussions nourries et d’une construction d’un accord programmatique, le front populaire gagne les législatives en mai, suivies un mois plus tard, de la prise de fonction du nouveau gouvernement lors du discours d’investiture de Léon Blum présentant les réformes à venir devant la chambre des députés, le… 6 juin.
Jour pour jour, 87 ans après, la gauche est dans la rue, elle est, comme en 1936, aux côtés des syndicats pour faire entendre, pour la 14ème journée de mobilisation, le refus de l’injustice sociale, le refus de voir des vies déjà cabossées, amputées de leurs deux meilleures années de retraite. Elle est là, unie dans un combat commun.
Le président Macron finira-t-il par céder ? Nul ne le sait, mais là où il ne distingue qu’une foule informe et ignare, je vois des femmes et ces hommes qui défendent, coude à coude leurs droits et qui ont retrouvé leur dignité dans la lutte partagée.
Ces « mains d’or » comme chante Lavilliers, qui ne demandent qu’à travailler mais qui aspirent aussi au repos le moment venu, alertent. Pour reprendre les mots de Durkheim il faut entendre ce «cri de douleur, de colère » poussé par celles et ceux qui « sentent le plus vivement notre malaise collectif. »
Il est là, bien présent, le malaise démocratique.
La voix de la rue, de l’Assemblée nationale et de l’intersyndicale est lâchement méprisée. La minorité présidentielle, aux ordres du président de la République accepte le détournement de l’esprit de la constitution pour écraser les oppositions à coup de 47-1, 44-3, 49-3, et maintenant la menace de dégainer l’article 40 qui fait, une fois de plus, planer la menace du déni démocratique dans notre hémicycle jeudi prochain.
Alors en ce 6 juin, je suis fier de marcher avec toute la gauche et les écologistes. Le chemin est parfois accidenté. L’union reste un combat. Mais un combat qui doit rester fraternel. Chacun doit pouvoir trouver sa place. Rien ne se fait de durable sans acceptation.
Il faudra demain un contrat de gouvernement qui nous lie sur cinq ans. Il faudra que cette coalition procède à des compromis. Je reprends là les mots de Léon Blum le 6 juin 1936, évoquant les radicaux : « Je sais très bien que, pour nos amis radicaux, le but n’est pas la transformation du régime social actuel, je sais très bien que c’est à l’intérieur de ce régime et sans penser à en briser jamais les cadres qu’ils cherchent à amender et à améliorer progressivement la condition humaine. En un sens, ce qui est pour nous un moyen est pour eux un but, ce qui est pour nous une étape est pour eux un terme, mais cela n’empêche pas que nous n’ayons un bout de chemin et peut-être un long bout de chemin à parcourir ensemble ! »
Une coalition lie des formations, des personnalités aux histoires, aux cultures et aux buts forcément différents. Pour que la coalition tienne, personne ne doit passer sous la toise. Personne ne doit se sentir obligé. L’équilibre est difficile à trouver. Mais il est de notre responsabilité de le trouver. La France basculant dans les mains de l’extrême-droite serait un coup de tonnerre dans le ciel d’Europe. Sa présence à l’Élysée libèrerait des dynamiques dans notre pays comme à l’échelle du continent que personne ne peut assurer contenir. Nous ne sommes pas en 1936. Marine Le Pen n’est pas Hitler. Mais ce que le Rieux de Camus savait et que nous avons peut-être oublié, « le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse ».