Blog-notes N°7 – Comment naissent les démocraties ? Comment meurent-elles ?

Blog-notes N°7 – Comment naissent les démocraties ? Comment meurent-elles ?

Il y a salle Casimir-Perier, devant l’hémicycle, cette pièce monumentale de Jules Dalou, ce magnifique haut-relief en bronze, imposant par ses dimensions exceptionnelles, célébrant la majesté de ce face-à-face, le 23 juin 1789, entre le marquis Henri-Evrard de Dreux-Brézé et le comte de Mirabeau.

Les États généraux sont terminés. Le roi s’est retiré, refusant le vote par tête. La noblesse et le clergé lui ont emboité le pas. Sentant poindre la fraicheur de l’orage, Louis XVI a décidé trois jours plus tôt d’interdire aux factieux de se réunir salle des Menus-Plaisirs, mais les députés ont trouvé refuge dans une salle sans faste, celle du jeu de Paume. Ils ont juré après le Président de l’Assemblée nationale Bailly « de ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’au jour où la constitution du royaume sera établie et affermie sur des fondements solides ».

Dreux-Brézé, envoyé du roi, est donc venu sommer les députés du tiers état de bien vouloir se disperser et de quitter les lieux.

Mirabeau, interprète sublime de ceux qui ont prêté serment trois jours plus tôt, lui répond «Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »

 

Ce n’est pas encore la démocratie, mais cette apostrophe signe déjà la fin du pouvoir absolutiste. L’ancien régime n’est déjà plus et ces journées du 20 au 23 juin 1789 ouvrent la voie à la prise de la bastille le 14 juillet, à la séparation des pouvoirs, à l’abolition des privilèges et à la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen.

 

Le souverain n’est déjà plus le roi. Progressivement le peuple prend ses quartiers. Il les perdra au cours du 19ème siècle jusqu’à l’avènement de la République. Alors pourquoi évoquer ces heures glorieuses qui contrastent tant avec celles que nous vivons en ce mois de juin 2023 ? Pour reprendre les mots de François Mitterrand, pour « nous interroger en commun sur ce qui nous lie à ce passé et pour mieux concevoir notre tâche à venir. Un peuple sans mémoire n’est pas un peuple libre (…). À la France de 1789, nous ne demandons pas qu’elle nous tende un miroir mais qu’elle nous rappelle de quel rêve, de quel combat, de quel choix a émergé la France contemporaine, sur quelles valeurs s’est fondée la République. »

 

Nous sommes entrés dans une crise démocratique profonde. Le président et son gouvernement, qui se présentent volontiers comme « progressistes », cèdent chaque jour davantage à la tentation des démocraties dites illibérales.

 

Ils ont méprisé les syndicats, ignoré le peuple français et posé l’éteignoir sur le parlement pour imposer leur réforme des retraites, ils dissolvent aujourd’hui « les soulèvements de la terre » fédération d’associations écologistes qu’ils font passer pour de dangereux terroristes. Tous les contre-pouvoirs sont tour à tour empêchés et les opposants de gauche disqualifiés au profit d’une extrême-droite réhabilitée et respectabilisée.

 

Pour répondre au déficit démocratique né de la pratique du pouvoir de l’homme qui se prenait pour Jupiter, qu’avons-nous découvert au détour d’une interview ?

Que l’ancien Président de l’Assemblée nationale, lanceur de ballons d’essais pour le compte du chef de l’État, regrette les dispositions de la constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels… « tout cela corsetant notre vie publique et les règles qui limitent le libre choix des citoyens, affaiblissant notre vie politique en qualité et en densité (…) Changeons tout cela ».

 

Le plaidoyer de Richard Ferrand vise à la concentration des pouvoirs dans les mains d’un seul là où les Français réclament au contraire plus de délibérations et de compromis.

 

Qui n’a pas pensé ces jours derniers, à force d’entorses à l’esprit des lois, à ce que pourrait réaliser demain, même privé de majorité absolue, le Rassemblement National ?

 

Il est loin le serment du jeu de paume. Oubliés les mots de l’abbé Sieyès « Qu’est-ce que le tiers-état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose. »

 

Les Cahiers de doléances rédigés lors du « grand débat national » au lendemain du mouvement des gilets jaunes n’ont jamais été ouverts, consignant « tout ce dont le pays ne veut plus et tout ce à quoi il aspire ». Tout semble ne plus relever que de la décision d’un seul. Même le gouvernement est en apnée, pas vraiment apaisé par les rumeurs d’un remaniement imminent.

 

Je reprends à mon compte les mots de Mendès France : « Sous la IVème, c’est un fait que l’Assemblée avait non seulement tout le pouvoir législatif, mais encore le moyen de s’immiscer de manière continuelle dans l’exécutif et de le paralyser ; sous la Vème c’est la faute inverse. Tous les pouvoirs sont dans l’exécutif et même dans l’homme qui dirige l’exécutif. Le président de la République est la seule volonté susceptible d’agir et de s’imposer tandis que l’Assemblée n’a plus qu’un rôle de figuration. On est passé d’un extrême à l’autre ».

 

La gauche n’est pas exempte de reproches. Ses responsables se sont progressivement coulés dans le moule de la Vème République. La folie présidentielle s’est emparée de toutes et tous. La compétition élyséenne obsède les esprits, des plus médiocres jusqu’aux plus brillants. La figure de l’homme providentiel s’est imposée, et tout dépendrait désormais d’une incarnation exclusive de toute autre.

 

Rien ne me semble pourtant plus étranger à la gauche que ce culte voué à une figure de proue. Il n’est de providence que dans la recherche collective de notre salut commun. Ni Jupiter, ni César, ni tribun. C’est une volonté commune qu’il faut lever et à un peuple adulte qu’il faut s’adresser.