«La Nupes n’est pas un parti unique»
par Sacha Nelken
Après plusieurs semaines de polémiques liées à l’affaire Médine ou aux divisions stratégiques, la gauche fait sa rentrée en cette fin de semaine. Pour Olivier Faure, premier secrétaire d’un Parti socialiste qui démarre son «campus» vendredi 25 août à Blois (Loir-et-Cher), la crise que traverse l’alliance n’est pas insurmontable malgré la division annoncée aux européennes.
Entre la polémique Médine et les divisions affichées au grand jour, la gauche n’a-t-elle pas déjà raté sa rentrée ?
Je regrette ces trois semaines à se demander si la gauche était Médine ou pas Médine qui ont rendu inaudibles nos propositions. Je ne connais pas Médine. Je ne suis pas juge de sa sincérité, de ses évolutions ou de ses rétractations. Ce que je sais, c’est que comme responsable politique, les messages adressés doivent être sans ambiguïté. L’antisémitisme et le racisme sont des poisons. Maintenant, la gauche doit se concentrer sur le quotidien des Français : la rentrée scolaire, où tous les prix augmentent – les fournitures de 10 %, l’alimentation de 20 %, sans compter la facture énergétique –, et puis l’amplification du désordre climatique.
Il y a un an, la Nupes était perçue comme un espoir à gauche. Aujourd’hui elle semble au bord de l’implosion. Comment l’expliquer ?
La Nupes est un récit en construction. Il y a forcément des moments plus difficiles que d’autres. Depuis cinq ans, je me bats pour l’union. Aux municipales, j’avais proposé l’alliance dès le premier tour, sans succès. Aux régionales, nous y sommes parvenus dans cinq régions. Et puis il y a eu la Nupes. Nous ne sommes pas un parti unique. Je respecte l’autonomie stratégique de mes partenaires. Mais il faut conserver le cap. L’union, c’est plus contraignant que la route en solitaire, mais c’est aussi la garantie d’aller plus loin.
Comment rétablir les liens entre les différents partenaires ?
La gauche, même lorsqu’elle gouvernait n’a jamais été rassemblée aux européennes, sujet sur lequel les sensibilités à gauche sont les plus exacerbées. Cela n’a pas mis fin au gouvernement de Lionel Jospin. Pourquoi faudrait-il remettre en cause tout ce que nous devons faire ensemble parce que nous ne sommes pas unis à une élection intermédiaire ? Le Président et ses alliés n’ont pas d’accord pour les sénatoriales, personne n’imagine que cela mette un terme à leur coalition.
Le PS aura donc sa propre liste aux européennes ?
Je veux que les socialistes se prononcent à la fin du mois de septembre. Mais deux formations ont déjà annoncé qu’elles partiraient seules. Donc, sauf événement majeur, je ne vois pas ce qui permettrait d’espérer une liste unique. Mais que nous soyons sur une liste commune ou séparés, la gauche doit montrer qu’elle est en mesure de se hisser devant la droite et l’extrême droite.
Pourtant, les insoumis disent qu’une absence d’union pour ce scrutin pourrait marquer la fin de la Nupes…
Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour maintenir le cap du rassemblement de la gauche et des écologistes. C’est un impératif si nous voulons gouverner demain. Le rassemblement pour 2027 n’est pas une option mais une obligation. Il faut un projet commun et un candidat unique pour 2027. Aucune transformation n’est possible sans une adhésion populaire large pour porter le changement.
Jean-Luc Mélenchon vous a accusé sur Twitter de tenir un double langage à propos de l’union. Que répondez-vous ?
Le rassemblement, je l’ai souhaité bien avant la création de la Nupes, dès mon accession à la tête du PS, en cherchant les voies d’un dépassement et d’un rassemblement dans toutes les élections qui se présentaient à nous, quitte à affronter déjà à l’époque les critiques. Je n’ai pas varié. Je souhaite que dès la rentrée prochaine, nous puissions commencer à avoir des discussions sur le plan local pour préparer les municipales par exemple. Je ferai dès demain des propositions d’agora, d’espaces de coconstruction pour reprendre la marche avant, y compris dans les territoires. Nous avons des désaccords, des différences, des styles différents, mais la gauche est ma famille de pensée. C’est avec cette famille-là que je veux gouverner demain.
Ce jeudi 24 août, dans le Figaro, Bernard Cazeneuve a semblé faire un petit pas vers vous. Est-ce une personnalité avec qui il vous faudra travailler à l’avenir ?
Ce que Bernard Cazeneuve doit entendre, c’est qu’il est impossible d’imaginer que l’unité du PS se construise contre l’unité de la gauche.
Pourquoi avoir choisi d’angler votre campus d’été sur les classes populaires ?
Car rien n’est possible sans adhésion populaire. Il n’y a pas de grands changements sans elles. Si au pouvoir nous ne voulons pas être bloqués face aux murs de l’argent, des lobbies, des intérêts financiers, il faut créer un rapport de force qui n’est possible qu’avec l’adhésion puissante des classes populaires. Le Front populaire, c’est à la fois la prise du pouvoir par Léon Blum et un soutien puissant dans la société. Nous devons nous en inspirer pour instaurer un nouvel équilibre entre capital, travail et biens communs.
La rupture n’est-elle pas trop grande entre ces classes populaires et les partis politiques ?
Le Président fait tout pour décourager la participation à la vie démocratique en multipliant les 49.3. Si seul le chef décide, pourquoi voter ? Nous devons donc déployer encore plus d’énergie pour convaincre. Il faut que les Français entendent que l’on peut gouverner différemment ce pays. C’est la raison pour laquelle nous voulons aussi faire évoluer en profondeur la Ve République qui a montré ses limites.
Beaucoup vous ont reproché d’avoir intitulé un atelier «La France périurbaine est-elle la France des beaufs ?». Etait-ce bien habile ?
Ce n’était qu’une provocation pour répondre évidemment par la négative. Qui peut imaginer un seul instant que nous puissions nous adresser aux gens en les qualifiant de «beaufs». Je suis un élu périurbain, j’ai grandi dans un quartier populaire, je veux sortir la politique de l’entre-soi. Il y a de la vitalité et du génie dans nos banlieues comme dans le monde rural. Il faut arrêter ce centralisme intellectuel qui consiste à dire qu’on ne pense et innove que dans les VIe et VIIIe arrondissements de Paris.
Selon vous, quels thèmes la gauche doit-elle poser dans le débat en cette rentrée ?
Le premier sujet, c’est la question du travail. Si nous voulons réconcilier les classes populaires, les classes moyennes, les gens qui vivent dans le monde urbain comme dans le monde rural, nous devons obtenir une reconnaissance réelle du travail. J’entends la droite parler de la valeur travail. Moi, je veux défendre la valeur donnée au travail et cela passe d’abord par la reconnaissance salariale. Le travail doit payer. Je suis pour la tenue d’une grande conférence salariale qui permette de réfléchir à une meilleure répartition, notamment pour les métiers invisibilisés parce que féminisés. C’est une honte de lire le Président stigmatiser les familles monoparentales qui sont presque toujours des mères courage qui subissent les horaires fragmentés, les temps partiels subis et les rémunérations les plus faibles.
Emmanuel Macron a annoncé vouloir réunir mercredi 30 août l’ensemble des partis politiques. Approuvez-vous cette idée ?
Déjà, il semblerait qu’il soit revenu sur sa volonté d’exclure une formation de la Nupes. C’était la condition à notre participation. Si nous sommes effectivement invités, nous viendrons avec nos propositions. J’ai entendu le Président parler de référendums, il y en a un tout trouvé… sur les retraites. Le Parlement n’a pas pu se prononcer. Qu’il donne la parole aux Français !