« Les orphelins co-victimes d’un féminicide ne doivent plus tomber dans l’oubli »
« Être témoin de violences conjugales, c’est aussi en être victime. Il est temps d’assurer un droit et un statut protecteurs de l’enfant orphelin co-victime d’un féminicide », réclament les socialistes Olivier Faure, Johanna Rolland, Stéphane Troussel, Isabelle Santiago, Marie Le Vern et Laure Botella.
– « C’est de ta faute et celle de ta maman. Ne me mets pas en colère ». Les mots résonnent. Les images des coups persistent. Le traumatisme né de ces violences ne disparaît jamais. Il est ineffaçable. L’enfant devenu adulte apprend seulement à vivre avec.
Au lendemain de la journée du 25 novembre pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et quelques jours après la journée des droits de l’enfant du 20 novembre, il est essentiel de redire haut et fort qu’en présence d’enfants, les violences conjugales sont aussi des violences faites aux enfants. Être témoin, c’est aussi être victime. Un homme violent avec sa femme, dans la moitié des cas, l’est aussi avec ses enfants, dans des actes de maltraitances verbales, physiques, psychologiques, sexuelles, et de négligences. « 60 % des enfants qui y sont confrontés souffrent d’un trouble de stress post-traumatique complexe, spécifique aux traumatismes graves et répétitifs comme la maltraitance ou l’exposition à un conflit armé », selon un rapport d’information de la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale. Quand la vie d’une maman est ôtée, c’est autant de vies d’enfants qui sont dévastées.
Ces enfants sont dans la plupart des cas livrés à eux-mêmes, sans aide, ni accompagnement. La violence les a construits dans la peur, l’anxiété, la dépression, la mésestime de soi. La violence isole, vulnérabilise, confronte au mal-être et à l’insécurité. Adultes, les conséquences perdurent pour leur santé mentale, physique, dans leur vie affective, professionnelle et sociale, avec des troubles émotionnels, et le risque de connaître de nouvelles violences, d’en commettre soi-même, ou sur soi-même jusqu’au suicide. Les enfants victimes de violences intrafamiliales perdent en moyenne 20 ans d’espérance de vie.
Ces vies brisées sont invisibilisées, ces orphelins abandonnés, oubliés. À l’intimité violente du domicile familial succède l’inertie de la société. Il est temps d’assurer un droit et un statut protecteurs de l’enfant orphelin co-victime d’un féminicide.
Il faut ensuite assurer un accompagnement effectif de l’enfant orphelin, la véritable prise en charge et le suivi de son trauma, dans ses conséquences quotidiennes, médico-psychologiques, éducatives, sociales et judiciaires. Trop souvent, les enfants et les familles des victimes sont confrontés avec brutalité aux enquêtes et procédures judiciaires, baladés de services en services, renvoyés dans la maison des parents où leur vie a précisément basculé, ou soumis à des placements intempestifs, poussés à des retours trop précoces dans leurs écoles, lâchés sans réelle évaluation des besoins, confrontés à un insupportable parcours du combattant administratif.
Il faut pour cela accélérer la généralisation dans la pratique, des protocoles de suivi psychosocial, en lien avec les Agences régionales de santé (ARS), à l’instar du « protocole féminicide » de Seine-Saint-Denis. Ces protocoles doivent permettre la prise en charge et la mise en protection de l’enfant, immédiatement sur les lieux par le Samu, avec ordonnance provisoire de placement par le parquet des mineurs, hospitalisation dans un service pédiatrique spécialisé, détermination du meilleur lieu d’accueil par l’ASE, accompagnement dans la durée…Cela appelle à de véritables coordinations locales entre procureur, hôpital, département, Aide sociale à l’enfance (ASE) et associations. Des pouponnières pour accueillir les bébés et des structures spécialisées comme des instituts de victimologie doivent être créées et la généralisation des unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED), une par juridiction d’ici à 2027, doit être accélérée de manière urgente.
Il faut également faciliter l’accès à un logement adapté pour le tiers de confiance qui accueillera l’enfant ou la fratrie. C’est notamment vrai quand les familles peuvent l’envisager mais sont notamment empêchées par un logement trop petit pour organiser l’accueil dans de bonnes conditions.
Il faut enfin renforcer les moyens pour la protection de l’enfance, pour l’ASE qui n’est plus en capacité aujourd’hui de répondre à ses missions, et pour les associations qui accompagnent les victimes. Il faut également renforcer la formation des institutionnels, nos magistrats, nos équipes éducatives, nos travailleurs sociaux. Les violences intrafamiliales ne sont pas toujours immédiatement visibles. Il faut apprendre à repérer les signaux faibles.
Alors que plusieurs pays voisins ont déjà fait évoluer leur droit et que le Parlement européen a aussi recommandé de créer un statut de victime aux enfants confrontés à ces violences, nos institutions en France les protègent encore insuffisamment. Ils ne peuvent être les grands oubliés de la lutte contre les violences intrafamiliales.