Après l’Irlande
C’était à la veille du référendum irlandais. Le groupe socialiste de l’assemblée recevait Jacques Delors pour parler de ses travaux au CERC (centre d’études des revenus et des coûts).
Bien entendu, difficile de ne pas l’interroger sur l’Europe. Le vieux monsieur de 83 ans est toujours aussi vif. Il ne veut rien dire de trop engageant « parce qu’avec les nouvelles technologies, il suffit que mes propos soient repris sur le plus obscur blog pour que… » cela fasse au moins le tour d’Europe. Tout le monde comprend toutefois qu’il anticipe une victoire du Non en Irlande. Mais il ne veut pas contribuer à une défaite par des pronostics sombres.
Il ne peut toutefois s’interdire de déplorer l’absence d’une vision pour l’Europe. Tout est dit.
le surlendemain les résultats irlandais sont donnés. Le « Non » l’a emporté.
Ce n’est pas le même « Non » que celui des Français : quand à Paris les partisans du « Non » demandaient plus d’harmonisation fiscale, à Dublin, les nonistes demandent à l’inverse le maintien de leur fiscalité avantageusement faible par rapport à la concurrence européenne. Quand certains craignaient en France la fin de l’avortement, en Irlande d’autres agitent au contraire la peur d’une légalisation rendue obligatoire par la charte européenne des droits fondamentaux…
Ce qui est certain, c’est que si les motivations sont très différentes d’un peuple à l’autre, ceux qui sont aujourd’hui consultés directement disent tous « Non ». C’est l’idée de l’Europe qui est aujourd’hui en grande difficulté. Le sentiment général c’est que les acquis (différents d’un pays à l’autre) sont menacés et qu’aucun horizon de protection de substitution ne se met en place.
Ce que devraient comprendre tous les gouvernants c’est que l’on ne peut pas racommoder une relation en se contentant de mécanos institutionnels. La seule façon de réconcilier les européens avec l’Union, c’est de répondre à leurs angoisses par la conduite de politiques publiques ambitieuses qui répondent à leurs angoisses.
C’est peu dire que le programme de travail de la présidence française de l’Union voulu par Nicolas Sarkozy pour le second semestre 2008 correspond peu à cette attente.
Le chef de l’Etat a choisi de faire de cette présidence, l’un des instruments de sa reconquête de l’opinion publique… nationale. La méthode cavalière vis-à-vis de nos partenaires à propos du plafonnement de la TVA sur les produits pétroliers témoigne de cette volonté. Il s’agit moins de parvenir à des résultats que de prendre à témoin nos concitoyens, excédés par des prix qui s’envolent.
De la même manière, parce qu’il est en difficulté pour justifier le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, Nicolas Sarkozy affiche sa volonté de construire une politique européenne de défense, mais ne lui donne aucun contenu crédible.
Le risque c’est une présidence pour rien. Une présidence d’affichage de bons sentiments, par exemple sur l’environnement, mais sans moyens véritables. Les urgences sont pourtant nombreuses.
D’abord sur le terrain de l’emploi et du développement économique. En Europe comme en France, l’accent a été mis sur une politique de la concurrence exclusive. Cela s’est fait au détriment d’une véritable politique industrielle concertée. Le soutien à la recherche et à l’innovation est mesuré alors qu’il mériterait un effort sans précédent.
Sur le plan social, le dumping est facilité par une jurisprudence récente de la CJCE (arrêts Viking, Laval et Rüffert) qui autorise des entreprises européennes à ne pas appliquer à leurs salariés les conventions collectives du pays dans lequel ils travaillent. L’urgence est à la production de directives qui assure la protection des salariés.
La présidence devrait également être le moment pour notre pays d’affirmer la nécessiter de garantir la place des services publics. Sur ce sujet, le traité de Lisbonne a ouvert la possibilité, inédite jusqu’alors, de sécuriser les services d’intérêt général. Il est insensé de constater que la pérennisation de ces outils de cohésion sociale, économique, territoriale ne soit tout simplement pas à l’ordre du jour.
Il n’est pas plus acceptable que prévale en matière d’immigration une politique du chiffre et que le co-développement figure de manière anecdotique pour soulager les consciences auxquelles il n’a pas échappé le lien ténu entre migrations et pauvreté.
L’Europe n’est pas une mécanique implacable au service d’une pensée unique. Elle est le cadre de négociation des Européens ; Tout y est, comme dans le cadre national, affaire de politique et de rapports de force. Ce n’est pas l’Europe qui est trop libérale, trop égoïste. ce sont ceux qui la conduisent. C’est la politique de la droite qu’il faut désavouer puisque c’est elle qui est majoritaire. Et ne pas enterrer la plus belle idée de l’après 2ème guerre mondiale.