L’adieu sans larmes
Dimanche 11 mars 2007. 20 heures. J’allume la télé. Aucun suspens. Chacun l’a deviné depuis longtemps. Comment Jacques Chirac pourrait-il être à nouveau candidat ? Simple envie de voir comment l’histoire va s’achever.
Chirac : quarante ans de paysage politique. Ministre de Pompidou, Premier Ministre de Giscard, puis de Mitterrand sous la première cohabitation. Depuis 1981, pas une élection présidentielle sans lui. Président de la République depuis quatorze ans… Déjà là à l’époque de l’« île aux enfants », toujours là quand Casimir a disparu depuis longtemps.
Un départ à la retraite, c’est toujours un peu consensuel. On se penche sur le passé. On puise le meilleur. On célèbre. Pour Chirac, la presse n’a trouvé que son formidable appétit : pour les têtes de veaux, pour les veaux sans têtes, pour les campagnes, pour le pouvoir. Côté réalisation(s) ? on cherche encore. Deux grands discours. Au Veld’hiv et à l’ONU via le sémillant Villepin. Le premier pour reconnaître que la France n’a pas toujours eu raison, le second pour rappeler qu’elle n’a pas toujours tort. On pourrait rajouter à cette liste le discours de Johannesburg, « la maison brûle, mais nous regardons ailleurs ». On pourrait, mais on ne le fera pas. Parce que chez Chirac, l’image et le son, cela n’a rien à voir. Décalage permanent. Impossible synchronisation. Verbe autonome de l’action. Promesses qui n’engagent que ceux qui les croient. Elu en 1995 sur le thème de la résorption de la « fracture sociale ». Réélu sept ans plus tard sur la promesse républicaine. A chaque fois une politique sans rapport. Juppé, Raffarin, Villepin… Que du bonheur !
Ses trois Premiers ministres ont rallié Nicolas Sarkozy. Pas de hasard. La même énergie dit-on. La même inconstance et la même absence de scrupules surtout. Sarkozy… l’héritier et finalement, le meilleur avocat de Chirac. Parce que le seul qui pourrait nous le faire regretter… Chez Chirac, il y avait un doute. Il était de droite, mais la légende voulait qu’il ait flirté avec la gauche. Il avait construit ce personnage franchouillard, mangeur de pommes et buveur de Corona. Pas de quoi adhérer. Juste ce qu’il faut pour ne pas être détesté.
Avec Sarkozy, rien de tel. Il a recruté le même faiseur de mots que Chirac pour faire oublier sa droite. Mais les mots de Guaino n’ont pas réussi à recouvrir la puissance du « kärcher ».
Alors que restera-t-il de Jacques Chirac ? Il voudrait nous laisser l’image d’un homme qui, sa vie durant, se sera battu contre tous les extrémismes. On lui reconnaît volontiers cette inclination personnelle. Mais sa pratique du pouvoir a justement nourri la désespérance sur laquelle prospère le Front national. Après avoir appelé à ne jamais « composer avec les extrêmes », Chirac s’apprête à se contredire en exprimant son soutien au fils prodigue qui défend la création d’un « ministère de l’identité nationale ». Clin d’œil appuyé à celui qui n’en a plus qu’un.
C’est à ses fruits que l’on juge l’arbre. Et Chirac a produit Sarko.
Le 11 mars Jacques Chirac a fait ses adieux aux armes. Ce furent des adieux sans larmes.